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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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certes, étaient sévères, mais ils en
avaient le droit car ils l’étaient également pour eux-mêmes.
    — Au fond, dit Bridet, ils ne sont pas
ce qu’on nous a dit.
    — Oh ! pas du tout...
    — Je m’en doutais.
    — Trop de gens avaient intérêt à nous
les montrer comme des barbares qui coupent les poignets des petits enfants.
    — Les Juifs et les communistes, dit
Bridet.
    Il se sentait plus à l’aise qu’avec Basson.
Laveyssère n’avait jamais brillé par l’intelligence. L’atmosphère du
restaurant, assez parisienne, assez avant-guerre, le fait que Laveyssère
paraissait tellement sûr de ce qu’il disait, enhardissaient Bridet. Il pensa qu’il
devait profiter de l’occasion pour prendre plus nettement position qu’avec
Basson. On le croirait cette fois.
    — Heureusement, dit Bridet, que nous
avons maintenant à notre tête des hommes qui comprennent. Ah ! si nous les
avions eus avant...
    — Vous avez raison, Bridet.
    — Il faut s’entendre avec les
Allemands. Je le dis depuis 1934. Personnellement, j’ai toujours eu de la
sympathie pour eux. Ce sont quand même des gens qui ont des qualités
extraordinaires. On a beau ne pas les aimer, il faut bien le reconnaître, ils
ont de grandes qualités. Je crois d’ailleurs qu’aujourd’hui personne n’en
doute.
    Laveyssère ne répondit pas. Bridet,
craignant un instant d’avoir été un peu loin, ajouta en souriant :
    — J’aimerais quand même mieux qu’ils
retournent chez eux.
    Laveyssère sourit à son tour.
    — Eux aussi, dit-il de l’air d’un
homme qui a ses renseignements particuliers, ils aimeraient mieux être chez
eux.
    — Dans ce cas, nous nous entendrons
rapidement.
    Comme le ton de la conversation s’était
adouci, Bridet crut le moment propice de parler de lui.
    — En attendant, travaillons. Plus nous
serons forts, plus nous saurons mettre de l’ordre dans notre maison, plus les
Allemands nous respecteront. Notre Empire est un atout de premier ordre. Moi,
personnellement, je ne vous cacherai pas que si je pouvais servir notre vraie
France, je serais le plus heureux des hommes.
    Comme Laveyssère ne semblait pas comprendre
où Bridet voulait en venir, celui-ci eut le sentiment qu’il devait parler un
peu plus de la Révolution nationale. Il était trop timide. Il manquait d’accent.
Il refaisait la même faute qu’avec Basson. Parler des Boches, c’était très
bien, mais il fallait parler aussi du Maréchal. « Qu’est-ce qui me retient
donc toujours ? » se demanda-t-il. Il regarda Laveyssère. Celui-ci
mangeait sans appétit. On sentait que les problèmes qui se posaient à lui le
dépassaient, qu’il cherchait honnêtement à les comprendre. Bridet avait bu un
peu plus que d’habitude. Il frappa légèrement sur la table pour attirer l’attention
de Laveyssère.
    — Nous parlons trop, dit-il
brusquement. Nous ne devrions ouvrir la bouche que pour crier : « Vive
la France nouvelle qui vient de naître »
    Laveyssère alluma une cigarette. Il
paraissait réfléchir. Puis, fixant son regard dans celui de Bridet, il dit avec
une certaine amertume :
    — Malheureusement, tout le monde ne
pense pas comme nous. Les forces mauvaises n’ont pas désarmé.
    Bridet eut le sentiment que tout allait
très bien.
    — Si elles existent toujours, nous n’avons
qu’à les supprimer. L’intérêt de la France avant tout. J’irai vous voir un de
ces matins et je vous dirai ce que je compte faire, dans ma modeste sphère,
pour contribuer à notre salut.
    — Mais certainement. Venez me voir
quand vous voudrez. Nous tâcherons de mettre quelque chose sur pied.
    À ce moment, Basson entra dans le
restaurant. Il était accompagné d’un homme à barbe grise qui répondait assez
bien à l’idée qu’on se fait d’un vieux républicain. Il tenait à la main un
grand feutre noir à bords plats. Il avait un aspect un peu négligé qui
détonnait dans ce restaurant. Basson s’approcha de la table, cependant que son
compagnon attendait à quelques pas.
    — Alors, toujours pour de Gaulle ?
dit Basson en riant.
    Bridet rougit. Laveyssère, qui s’apprêtait
à demander à Basson s’il avait répondu à une certaine note de service, se
tourna étonné vers Bridet.
    — C’est un vrai gaulliste, un pur du
gaullisme, un pur du degaullisme, continua Basson en tapant amicalement sur l’épaule
de son camarade.
    — Moi ? s’écria Bridet.
    — Ça me surprend, dit Laveyssère.
    — Oh !

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