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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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peu plus tard, installé dans son bungalow du Cornfieldshire, offrit au serviteur une montre achetée à New York.
     
    – Dorénavant, tu n'auras plus l'excuse d'être en retard, dit-il à l'Indien émerveillé par le cadeau.
     
    Ce soir-là, le major Carver reçut ses invités en habit bleu à boutons dorés, marquant ainsi qu'il s'agissait de célébrer le retour de Desteyrac avec un rien de pompe. Sir Edward, de qui l'impassibilité et la circonspection frisaient bien souvent l'indifférence, s'abandonna, à la vue de Charles, à une démonstration d'amitié dont l'ingénieur ne l'eût pas cru capable.
     
    – Heureux, bien heureux de vous revoir, Charles ! s'écria-t-il en accueillant l'ingénieur. Et vous, êtes-vous satisfait de retrouver Soledad après les fumées de Pittsburgh et l'agitation mondaine de New York ? ajouta-t-il aussitôt.
     
    – Plus que vous ne pensez, major. Pour moi, c'est ici la vraie vie, au milieu d'amis éprouvés, dans un décor édénique, sous un climat délectable…
     
    – Vous êtes des nôtres, à présent. Vivre ici, sur notre île au soleil, dans le bleu, au milieu des fleurs, protégé des nombreux et des gêneurs par l'océan, n'est-ce pas un délice, en effet ? dit Edward.
     
    En parlant, il prit Charles par le bras et le conduisit sur la galerie afin qu'il pût, comme les autres invités, jouir du brasillement de la mer qui reflétait les rayons du couchant.
     
    – J'ai bien conscience de ces privilèges, major, et je n'oublie pas que c'est grâce à vous que je les ai, sans effort, obtenus quand, en 52, à Paris, vous m'avez engagé pour construire un pont.
     
    – Oh ! Mais il y a du vôtre dans tout cela ! Sans une disposition intime de l'esprit et du cœur, vous n'auriez pas apprécié notre mode de vie insulaire. Un autre eût été insensible aux sortilèges de l'archipel. Nos îles rejettent plus qu'elles n'adoptent. Il faut les comprendre, les aimer et les mériter, conclut Carver au moment où Poko présentait le plateau des boissons d'avant dîner.
     
    – Ed, nous avons faim, lança soudain lord Simon, qu'une station prolongée sur la terrasse ennuyait d'autant plus que son verre ne contenait qu'un jus d'ananas à peine relevé d'alcool de banane.
     
    Cette interpellation détermina le passage à table. Sur une nappe finement brodée, argenterie, cristaux, porcelaine aux armes de sir Edward – deux sabres d'or passés en sautoir – prenaient, à la lueur des chandelles, l'éclat indéfinissable du luxe le plus raffiné.
     
    Respectueux de l'étiquette coloniale qui réglait, sous le tropique du Cancer, la tenue vestimentaire pour petits dîners entre hommes, l'ingénieur, comme lord Simon, Malcolm Murray, Lewis Colson, Philip Rodney et Mark Tilloy, portait costume de lin blanc et, mollement noué en papillon sous le col de la chemise, un ruban de velours châtaigne.
     
    Quand Poko eut servi le consommé froid, auquel succéda un gâteau de pigeon, la conversation s'engagea sur les événements d'Europe et la fin de la guerre de Crimée. On avait appris par les journaux américains qu'elle avait tué plus de deux cent quarante mille hommes : Russes, Anglais, Français, Turcs et Piémontais.
     
    Informé par Colson que le beau-père de Charles, le général de Saint-Forin, figurait parmi les morts, lord Simon dit, au nom de tous, une courte phrase de condoléances.
     
    – Ne pensez-vous pas, Charles, que l'empereur Napoléon III, la reine Victoria et le tsar Nicolas se sont lancés assez inconsidérément dans une guerre qu'ils n'avaient pas imaginée aussi meurtrière ? demanda Carver.
     
    – « La guerre est un mal qui déshonore le genre humain », a dit Fénelon. J'aimerais que la France donnât toujours l'exemple de la paix. Or, Louis Napoléon se prend pour son oncle. On sait comment cela finit ! commenta Desteyrac.
     
    – Les Français ont choisi l'empereur Napoléon III par plébiscite au suffrage universel, fit observer Murray.
     
    – Je crains, en effet, que ce ne soit le caractère même du Français qui soit responsable des malheurs de votre patrie, ajouta le lord, s'adressant à Desteyrac de qui il connaissait les opinions républicaines.
     
    – Je crains, moi, que vous n'ayez, hélas, raison, répondit Charles.
     
    – Le peuple français, dans sa majorité, n'a pas plus le sens du devoir que les politiciens, qu'il suit un moment avant de les rejeter au bénéfice d'autres qui lui paraissent plus

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