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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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puis un grand silence se fit. Léonore, d’un geste de reine, montra un siège à Altieri. Subjugué, fou de passion et de fureur, le capitaine général obéit.
    Alors elle parla. Sa voix était nette, ferme, sans éclat, incisive, comme si elle eût voulu que chaque mot s’enfonçât dans la cervelle des deux hommes qui l’écoutaient.
    Et elle dit, tournée vers Dandolo :
    « Vous d’abord, monsieur. Vous comprenez, n’est-ce pas, que je ne suis plus votre fille ? Vous comprenez aussi, je pense, que je sais la hideuse vérité ? Pour un titre, vous m’avez vendue. Pour un titre, vous avez égorgé mon amour et tué mon âme… Je sais, vous dis-je !… Je sais qu’il est resté six ans dans les puits, et que vous avez commis le plus lâche des mensonges… Il était ici tout à l’heure. Je l’ai prévenu. Je l’ai fait partir. Le voilà sauvé. Or, écoutez-moi. Entre vous et moi, plus jamais un mot, plus jamais un regard. A ce prix, je consens à ne pas rassembler toutes les femmes de Venise pour vous faire lapider. Acceptez-vous la grâce que je vous fais ?… Ne parlez pas… votre voix me ferait trop de mal… Si vous acceptez, manifestez-le seulement, en vous levant et en vous retirant d’ici… »
    Elle se tut. Dandolo avait écouté, en hochant la tête. Quand elle cessa de parler, il eut un long tressaillement.
    Puis, par un effort vraiment considérable, il se leva, et, courbé, titubant, se glissant de côté, toujours pour éviter le regard de Léonore, il s’en alla, sans un mot, sans un soupir.
    Quand il fut dehors seulement, une sorte de rauque gémissement fit explosion sur ses lèvres. Altieri, frappé d’horreur, écouta ce gémissement qui s’éloignait au fond des ténèbres.
    Alors il se tourna vers Léonore et gronda :
    « Et moi !… Qu’allez-vous me dire à moi, votre mari !…
    – Je dis que vous me faites pitié… Vous, mon mari ! Vous vous vantez, monsieur ; depuis dix minutes vous cherchez à vous donner assez de courage pour me tuer. Et vous n’y arrivez pas. Je dis que si Dandolo fut lâche, vous fûtes plus vil encore… vous qui avez trahi l’ami le plus fidèle… vous qui trahissez encore ! Regardez autour de vous, et prenez garde ! »
    Altieri n’écoutait pas. Ces derniers mots qui eussent dû le frapper, il ne les entendit pas.
    Il ne songeait qu’à une chose : Léonore avait vu Roland. Elle l’avouait, le proclamait. Qu’elle l’eût fait partir à temps, cela importait peu ! Ce qui importait, c’était ce qui s’était dit entre eux… Ah ! des paroles d’amour, sans doute !…
    Presque dément de fureur jalouse, il fit deux pas vers Léonore :
    « Ainsi, vous l’avez vu !… demanda-t-il.
    – Je vous l’ai dit.
    – Et sans aucun doute, grinça-t-il, ce n’était pas la première fois… parlez… je veux savoir, dussé-je mourir de jalousie à vos pieds ! Vous parlez de trahison ! et vous, qui donc avez-vous trahi ? Est-ce lui ou moi ? Est-ce l’amant ou le mari ?… Car enfin, vous étiez sa fiancée, et la peur a été plus forte en vous que l’amour !… Vous l’avez abandonné, alors qu’il était malheureux, et pourquoi ? pour assurer à votre père, c’est-à-dire, au fond, à vous-même, une satisfaction d’ambition !… Première trahison ; et cela ne me regarde pas, après tout. Mais ce qui me regarde, c’est que vous me trahissez à mon tour, rugit-il en s’exaspérant. Et cela, je vous en demande compte. C’est mon droit. »
    Il était tout contre elle. Sa main se crispait sur son poignard.
    Léonore comprit que l’instant de sa mort était arrivé. Dans une pensée qui eut la durée d’un éclair, elle se dit que c’était mieux, ainsi et que tout serait fini ; puis, instantanément, le souvenir de Roland enfermé là-haut, la terreur de songer qu’il allait être pris, amenèrent un revirement en elle. Elle voulut vivre au moins quelques heures. Et elle répondit :
    « Altieri, vous vous trompez : je ne relève pas de votre justice.
    – Que voulez-vous dire ? bégaya-t-il.
    – Je veux dire que si demain matin, on ne me voit pas, une personne amie et sûre déposera dans le tronc des dénonciations, la preuve que le capitaine général conspire avec ses officiers contre le doge et le Conseil des Dix. Maintenant, frappez ! »
    Le poignard qui se levait échappa de la main d’Altieri.
    Le mari de Léonore recula de quelques pas et s’abattit sur un fauteuil, comme

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