Le Pont des soupirs
rendez-vous pour ce soir dans la maison de l’île d’Olivolo, comme vous m’en avez donné l’ordre.
– Ce rendez-vous n’aura pas lieu, dit Roland. La maison n’est pas sûre, je crois. Nous nous reverrons à la Grotte Noire. Va, mon ami. Dis à nos compagnons que dans huit jours je serai à la Grotte Noire. D’ici là, tu es libre. »
Scalabrino ne discutait jamais, ne cherchait jamais à approfondir, il exécutait aveuglément, voilà tout.
« Je pourrai donc passer ces huit jours à Mestre ? demanda-t-il d’une voix tremblante.
– Oui, mon bon compagnon. Tu vas porter quelques ordres là-bas, puis tu pourras aller à Mestre voir ta fille. Tu partiras par la tartane, reprit Roland. Tu iras aux gorges de la Piave, tu remettras aux chefs les lettres que je vais te donner. »
Roland se mit à écrire en effet cinq ou six lettres courtes, et les remit à Scalabrino.
« Dans deux jours au plus tard, dit celui-ci, elles seront arrivées à leurs destinations.
– Ce qui veut dire, fit Roland avec un sourire mélancolique, que dans trois jours, tu seras heureux, toi ! »
Les yeux de Scalabrino étincelèrent ; il tressaillit de joie. Deux heures plus tard, il s’embarquait à bord de la tartane.
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Chapitre 26 LA PETITE MAISON DE MESTRE
L ’inconnu qui avait jeté un adieu menaçant à Roland lorsque celui-ci quitta le jardin d’Olivolo, s’était rapidement éloigné dans la direction du port. Il alla frapper à une porte basse qui, après quelques pourparlers, finit par s’ouvrir. L’homme entra alors dans un cabaret borgne. Il alla droit à un vieux barcarol qui paraissait somnoler, et le toucha à l’épaule.
« Sandrigo ! » murmura le marin.
Les deux hommes sortirent.
« Et maintenant ? demanda le vieux barcarol.
– Il faut me faire traverser les lagunes à toute vitesse.
– Bon ! La barque est parée. »
Dix minutes plus tard, Sandrigo était installé à bord d’une grande barque qui, sous la double poussée de ses rameurs et de sa voile, se mettait à filer rapidement.
Au moment où, dans le jardin d’Olivolo, les sbires avaient marché sur la maison, Sandrigo s’était placé près d’Altieri et de Dandolo. Il tenait son poignard à la main, et si Roland fût apparu à ce moment, il eût frappé.
La porte s’ouvrit. Ce ne fut pas Roland qui se montra, ce fut Léonore. La stupéfaction du bandit fut grande.
Au cri sourd que poussèrent Altieri et Dandolo, il comprit que des choses extraordinaires allaient se passer. Il se recula promptement, se dissimula dans un massif d’arbustes et attendit. Il entendit Léonore jeter aux sbires cet ordre hautain dont le chef de police avait demandé la confirmation au Grand Inquisiteur, et lorsqu’il vit les policiers battre en retraite, il eut un geste de rage.
« Il n’est plus là ! gronda-t-il. Au diable soit la femme ! »
Mais il ne s’en alla pas. Au contraire, il se rapprocha doucement de la fenêtre demeurée entrouverte et assista, invisible, à l’étrange scène qui se passa entre Léonore, Dandolo et Altieri.
Or, à mesure que Léonore parlait, les idées du bandit se modifiaient.
« L’homme est toujours là ! » pensa-t-il.
Et il résolut de l’attendre, de sauter sur lui au moment où il sortirait, et de le poignarder.
Puis, cette résolution elle-même se modifia.
Lorsqu’il surprit le secret de la conspiration d’Altieri contre le doge, le secret lamentable de la haine qui divisait maintenant Léonore et son père, il se dit que Roland vivant pourrait lui être utile, et qu’il le tuerait seulement après avoir assuré la fortune qu’il entrevoyait maintenant.
La barque sortit de Venise, traversa la lagune, et Sandrigo sauta à terre au moment où le soleil se levait.
« Tu m’attendras ici », dit-il au vieux marin.
Il prit aussitôt le chemin de Mestre, et marcha sans hésitation à cette maison isolée où il avait surpris la présence de Juana.
Au bout d’un quart d’heure, il savait que les hôtes de la maison étaient toujours là. Ces hôtes c’étaient, outre Juana :
Le vieux Candiano – le père de Roland.
Bianca – la fille d’Imperia.
Une fois assurée de ce fait, Sandrigo alla s’installer dans une mauvaise auberge, mangea de bon appétit. Puis il s’enquit auprès du patron d’une voiture, d’une carriole quelconque.
– J’ai ma carriole, dit l’aubergiste, avec un mulet qui vaut le meilleur cheval.
– Cela fera mon affaire, si
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