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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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convenir… Si nous les épargnons, on nous en tiendra compte… Nous sommes des guerriers, nullement des bourreaux.
    – Vous oubliez ce qu’ils viennent faire chez nous, une fois cette putain de mer franchie !
    – Si je l’oubliais, crois-tu que je serais ce soir entre ces deux grosses mâchoires de terre pour satisfaire une idée que je trouve alternativement simplette et… souveraine !
    Tristan descendit le premier dans l’entrepont et regarda ses hommes s’asseoir autour de la table sur le plateau de laquelle subsistaient des miettes de pain et des noyaux de cerises. Debout, il les dévisagea. Tous lui parurent attentifs, mais consternés d’être là, comme dix spectres sous la lueur dansante d’un falot, s’entretenant parfois d’une voix basse, chuintante, ou plongés dans une sorte d’engourdissement fallacieux, une torpeur résignée, une paresse où, sûrement, ils rassemblaient leurs forces. Pagès, sourcils froncés, méditait sur l’insécurité du lieu, les bonnes chances de l’évacuer. Triphon, qui se curait les ongles à la pointe de son couteau, se disait sans doute qu’ayant échappé à la mort à Poitiers, elle le surplombait encore, et Morsang qui, sitôt en mer, s’était prétendu marié, pensait peut-être à sa femme.
    La porte fut poussée dans le dos de Tristan. C’étaient Raffestin et Beltrame apportant les seaux, les grappins et les cordes.
    – Fort bien… Restez debout. Nous pouvons commencer.
    – Pas trop tôt, dit Callœt.
    Cette fois, la fureur de Tristan éclata :
    – Ferme ta goule bon sang !… Serais-tu atteint du mal de saint Acaire 187  ?
    Nul ne rit : ni de Callœt ni de lui-même, Tristan. Il en fut heureux et reprit :
    – Vous avez vu, sur le pont, deux nacelles à quatre rames. Paindorge, Buzet, Morsang, Raffestin, Sampanier et moi occuperons la première, les autres, bien sûr, la seconde… Comme il y faut un commandant, je te charge de ce service, Callœt. Mais tu ne feras rien sans mon consentement. Je suis de taille, malgré mon âge, à t’apprendre le respect… Tu répartiras les grappins et les rouleaux de cordes. Nous cheminerons en deux troppelets 188 espacés jusqu’au manoir non loin duquel nous nous réunirons… Alors, certains s’en iront avec moi pour nous aviser des lieux, puis nous vous rejoindrons et nous répartirons les tâches. À la mi-nuit, si le prince et sa dame gîtent dans ce logis, nous ne pouvons les trouver qu’au lit.
    Callœt se frotta les mains. Et Buzet. Tristan s’adressa donc à eux :
    – Même si la belle fille de Kent est toute nue, je vous enjoins de la laisser en paix… Respectez-la… L’emmener avec nous alentirait notre retraite… Laissons-la à son beau-père. Peut-être a-t-il envie d’en profiter un tantinet.
    Nul rire, aucun propos de circonstance. Et pourtant, ces hommes-là n’étaient point avares de sornettes et gailles 189 . Tristan vit Paindorge se lever, contourner ses compères et pousser la porte d’un escalier accédant à la cale, tout à fait à l’arrière, sous le compartiment du gouvernail. Il revint soutenant dans ses mains des épées emmaillotées de linges.
    « Ils s’en étaient débarrassés pour que leur vue ne puisse pas aggraver leur anxiété ! »
    –  Il n’est pas encore temps de vous en ceindre… Gardez-vous de les heurter ou de les laisser traîner sur le sol. Les armes courtes me semblent préférables. C’est pourquoi j’ai laissé ma Floberge au Crotoy. Je n’ai que ce petit badelaire sarrasin, en forme de croissant de lune, que m’a confié Benoît Calletot.
    – Un croissant de lune pour une mission de nuit ! interrompit Buzet pendant que de sa main Tristan réchauffait la prise en cuivre doré de son arme.
    – Messire, dit Paindorge, à voir cette lame-là, on va vous prendre pour un mahom !
    Nul ne rit de ces deux saillies : le temps était passé des bons mots et gaietés. Tristan chassa d’une paume déjà moite la sueur amassée sur son front. Il respirait mal, la ventilation s’effectuant uniquement par l’écoutille d’accès au premier entrepont.
    – Nous n’accomplirons rien de bien dans la hâte et la confusion.
    Gueguen avait posé son perce-mailles sur la table. Il semblait absorbé par sa contemplation, dissimulant volontairement ou non son regard à ceux qui l’épiaient. Il semblait avoir pour cet acier simple et scintillant un culte fanatique, une religion du sang, et sans doute, dans sa Bretagne,

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