Le poursuivant d'amour
humiliation nouvelle comme une plaie empoisonnée : lui, Castelreng, sournoisement accusé de mensonge et de couardise par le fuyard de Poitiers !
– Mais j’ai mieux à vous fournir, monseigneur, que des mots et le carreau qui perça mon écuyer…
Quoi donc ?
– Une pucelle qui était à Cobham… Une Normande que Jeanne de Kent avait prise à son service du temps qu’elle vivait à Saint-Sauveur, chez Godefroy d’Harcourt… Sans elle, nous serions morts, Paindorge, mon écuyer, et moi.
– Paindorge !… Quel nom !
C’était la première marque d’intérêt que manifestait le prince. Sa morgue fut traversée d’un frémissement qui pouvait signifier qu’il s’ébaudissait ; mais ses lèvres restaient obstinément serrées, incurvées vers le bas, comme s’il venait d’avaler une gorgée de vinaigre.
– Quels étaient les Goddons qui vous donnaient la chasse ? Des hobbiliers 256 ?
Tandis que Tristan se demandait si cet intérêt devait être interprété comme une soudaine indifférence à ce qui concernait sa mésaventure, le régent, penché à la fenêtre, remua sa lourde main en signe de salut. Deux chevaux passaient, portant sans doute une litière.
– Nos béhaignons, comme ceux qui piétent en bas, sont plus solides que ces petits coursiers.
Tristan faillit hausser irrespectueusement les épaules. Ce n’étaient pas les mérites des chevaux de Bohême qui provoquaient, en France, une importation dispendieuse de ces animaux ; c’étaient les liens d’alliance et de parenté qui unissaient les familles des deux royaumes 257 .
– Soit, chevalier, cette meschine 258 vous a sauvé la vie.
– C’est la fille d’un baron de Normandie, monseigneur.
– La plupart de ces barons sont des traîtres !
La conversation devenait impossible. Tristan, cette fois, crut bon d’insister :
– Elle était à Cobham contre sa volonté… Une prisonnière, monseigneur.
– Suspecte, Castelreng !… Suspecte, vous dis-je, puisqu’elle avait servi chez Godefroy d’Harcourt.
– Elle ne le servait pas, monseigneur. Elle était au service de Jeanne de Kent… Elle n’a qu’un seul désir : vivre en Normandie, non loin de Coutances.
Tristan s’était exprimé sans hâte, sans enfler son débit, espérant que le prince désirerait en savoir davantage sur l’exil de la pucelle. Il n’en fut rien. Charles réussit à faire voler sa lourde main dans l’air puis la tendit en direction de la porte :
– Vous êtes jeune, chevalier. L’amour vous trouble les idées.
L’amour ! Que pouvait-il en connaître, ce malade imparfaitement couronné ?
– Monseigneur, nous avons laissé à Benoît Calletot cinq des chevaux dont nous disposions à l’aller. La damoiselle dont je vous ai parlé nous a aidés à ramener ceux de mes compagnons. Son nom, sans doute…
Le dauphin eut un geste mou qui signifiait : « Peu m’importe !… Quant aux chevaux, que Calletot les garde. » En les abandonnant, il abandonnait la partie. Il renonçait à son grand dessein. Son visage prenait une couleur plombée, solennelle comme s’il allait mieux ainsi résister aux souffles infernaux qui, surgis d’Angleterre avec son champion défait, éployaient leur malédiction sur la France.
– L’amour ! soupira-t-il entre ses dents plus rongeuses que mordantes.
« Eh oui ! L’amour », songea Tristan. « Et je me plais, moi, à enchâsser dans mon cœur et mon esprit ses reliques les plus belles… Tu ne pourrais pas comprendre, monseigneur, cette fidélité… car je ne la comprends guère moi-même ! »
Lorsqu’il se trouva dans l’escalier de la tour, Tristan s’ébahit de la satisfaction avec laquelle il avait accepté son congé.
« L’amour !… L’amour !… Il ne doit pas en fournir moult preuves à son épouse !… Vous êtes jeune… Faut-il être bête pour proférer de telles sornes ! »
Quelque brève que fut sa descente, il profita de son esseulement pour se promettre de ne plus prendre au sérieux les propos et lamentations des hauts personnages, couronnés ou non. Puis, comme il traversait la cour, il fut consterné de voir Thomas l’Alemant marcher à sa rencontre.
– Eh bien, cette entrevue ?
Tristan se renfrogna : son aventure – ou plus précisément sa male aventure – était peut-être moins secrète qu’il ne le croyait. L’Alemant se fit paterne :
– Je suis le confident du prince ; par conséquent, je sais d’où vous
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