Le poursuivant d'amour
sans doute un peu contrefaite.
– J’en suis heureux, messire. Flourens en avait chargé Guyot. Je doutais qu’il réussisse. Il me faisait de belles genouillères, mais ça, la cubitière, c’est le grand œuvre du batteur de plates. C’est à sa perfection que l’on voit le métier d’un homme ! Et Guyot n’a que seize ans…
L’armurier introduisit son bras dans la défense de fer et le fit se mouvoir :
– Yvain va devoir faire mieux… J’ai confiance… C’est Flourens qui s’est occupé de votre armure…
Maître Goussot leva sa dextre et, par-dessus son épaule, d’un pouce noir et gras, désigna l’atelier d’où s’échappaient d’incessants martellements :
– J’aime le bruit du fonçoir 289 entre tous. Tout solide qu’il soit, le fer ne lui résiste pas… Ce soir, messire Castelreng, vous pourrez reprendre votre bien et nul n’y verra de notre besogne.
– En attendant, dit Tristan, je vous amène un ami qu’il vous faut héberger. J’insiste !… Quant à son cheval, je sais que vous avez de la place et du picotin…
Une grimace fugitive creusa des rides supplémentaires sur la face de l’armurier :
– Je n’ai plus qu’une chambrette dans mon galetas. Elle est…
– Quelle qu’elle soit, dit Thierry, elle fera l’affaire.
– Le lit est bon.
– Tant mieux.
L’armurier s’étonna :
– Vous n’avez point d’autres vêtements que ceux que vous portez ?
– Non.
L’attention de Tristan se concentra sur cette singularité. « D’où vient-il ? Il est habillé en manant : flotternel de lin bis, chausses et hauts-de-chausses de coutil noir, houseaux de daim… Pas d’éperons ! » Thierry intercepta son regard.
– Non, dit-il, je n’ai rien d’autre que ce que je porte… et mon épée, bien sûr, que tu vois à mon flanc. Je loge à Orgeval, prés de Poissy. Si tu te demandes d’où je viens, eh bien, je te contente : je vais çà et là pour voir s’il n’y a pas une joute, un tournoi quelque part. J’y gagne bien ma vie…
Et tourné vers sa nièce :
– Je ne suis rien d’autre qu’un chevalier d’aventure. Plus de femme – c’était la sœur d’Ogier, te souviens-tu ? Plus d’enfant. Nous l’avions baptisé Ogier et il aurait quinze ans, ton âge, Luciane, si la pestilence ne nous l’avait ravi… Plus de famille, plus de châtelet : je logeais dans celui de Richard de Blainville que le roi m’a repris… Plus rien que mon cheval et mes songeries tantôt noires, tantôt claires.
– Mais tu avais Gratot ! protesta Luciane.
– Gratot n’est plus Gratot pour moi depuis la disparition de tous ceux que j’y ai aimés… Je n’y serais demeuré qu’en compagnie de ton père… Et je me demande si Guillemette et Raymond vivent encore et hantent ces lieux dont ils avaient obtenu d’Ogier d’en assumer la garde.
Il y eut un silence dont Daniel Goussot profita :
– Entrez dans la cour… Je vais dire à Yvain de prendre soin de votre cheval et à Constance, ma fille, de vous mener dans votre chambre… Ah ! Tenez la voilà…
Constance arrivait, la jupe retroussée pour avancer plus vite. Voyant Luciane au bras de Thierry, elle lui lança un regard étonné.
– Constance, voici mon oncle, et c’est un chevalier.
– Ah ! Bon, fit en rougissant la jouvencelle.
Mais Thierry ne la voyait pas. Il voyait une autre femme, un enfançon dans les bras. Leur maison était une sépulture.
*
Ils demandèrent à souper tôt. Dame Goussot et sa fille s’employèrent à les satisfaire. À l’inverse de Constance, l’épouse de l’armurier était une grosse et lente personne dont les mouvements tout en cercles et rondeurs s’alliaient à merveille avec l’opulence de sa nature. Loin de flétrir son visage, les années l’avaient fait que vermillonner sa peau de pomme calville qu’une rosée couvrait dès qu’elle demeurait trop longtemps devant l’âtre où son mari eût pu attendrir ses fers. Auprès d’elle, Constance n’était qu’ardeur, souplesse et vivacité. En admirant l’envol de ses mains blanches, expertes à saisir les manches et les anses des chaudrons, poêles et pichets, Tristan observa sans oser livrer sa pensée :
« Thierry lui plaît : elle l’épie comme Oriabel m’épiait dans l’auberge d’Eustache… Lui, bien sûr, ne voit rien d’autre que sa nièce… Et serait-il séduit par Constance qu’il n’oserait se lier : le goût du mariage a disparu chez
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