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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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complète.
    – Il ferait beau voir que je t’en offre une.
    L’escarmouche cessa. On avait laissé Évreux en arrière. Le chemin étriqué sinuait en montant. Luciane demeurait seule, observant tout ce qui se présentait à sa vue sans prêter attention, semblait-il, à Thierry qui chevauchait derrière et encore moins à ceux que, dans sa déception, elle devait appeler « les deux autres ».
    Un hameau apparut, paisible. Il y avait au centre une espèce d’auberge.
    – Paindorge, garde les chevaux. Veille surtout sur le sommier : les deux lances sur son bât nous dénoncent comme chevaliers.
    – En as-tu, Tristan, du souci ? interrogea Thierry.
    – Aucun. Mais à quoi bon provoquer la curiosité dans des terres et chez des gens dont tu m’as dit qu’ils étaient acquis aux Navarrais.
    – N’aie crainte, Robert, dit Luciane à Paindorge. J’avale un bout de pain et viens te remplacer.
    Ils entrèrent. Personne sauf un clerc qui buvait un gobelet de vin. Luciane reçut le salut respectueux – presque caressant – qu’il lui adressait avec la réserve pleine de gravité qui eût convenu à un damoiseau de haut lignage. Mais le presbytérien ne s’était pas trompé puisqu’il murmurait :
    – Damoiselle.
    – Tes seins sont trop voyants, chuchota Thierry. Il faudra les serrer dans un couvre-chef (514) .
    – Je les veux bien cacher davantage, mais, pour les défendre, baille-moi une épée.
    L’homme en froc de bure s’inclina sans cesser de rester accoudé sur la table :
    – Par le temps qui court, mieux vaut avoir des chausses et hauts-de-chausses que des gipons… à moins qu’ils ne soient de mailles !… Où allez-vous ainsi… si ce n’est indiscret ?
    Il avait une peau de porcelet – soies comprises –, un visage rond, garni d’un nez de pique-écuelle, les pommettes et la mâchoire saillantes d’un dogue.
    – Venez près de moi.
    Thierry obtempéra le premier. Tristan, méfiant, tira un placet (515) de dessous la table pour l’offrir à Luciane. Il s’assit auprès d’elle, face au tonsuré.
    – Où allez-vous, mon père ? Je vois, dans cette encoignure, un gros bourdon qui révèle un pérégrin…
    Le clerc avait écouté, ravi, souriant d’une façon tout à la fois moqueuse et soupçonneuse qui n’avait rien d’ecclésiastique. Son regard ténébreux, sous des paupières enflées de lassitude ou de sommeil, surveillait, à travers les vitres glauques de la fenêtre, Paindorge et les chevaux, puis s’en allait contourner la maitresse dû lieu, une femme maigriotte à bonnet blanc, robe noire et qui, après avoir empli trois gobelets d’un vin aussi rutilant qu’une robe cardinalice, les apportait entre ses mains courtaudes.
    « Un œil de bête fauve surveillant des petits qui vont s’abreuver », songea Tristan. « Il se défie de nous, à moins qu’il n’évalue nos forces… Faut-il lui dire que nous ne sommes point Navarrais ou devons-nous mentir et exciper du contraire ? »
    –  Avez-vous faim, mon père ? demanda Luciane en commandant du pain et du pâté.
    – Non, mon enfant. Le pain et le vin me suffisent.
    « Il n’a rien d’un saint », se dit encore Tristan. Et de demander :
    – D’où venez-vous, mon père ?… si ce n’est inconvenant.
    – Je reviens d’Avignon et me rends à Saint-Lô. De là, je partirai pour Hambye.
    – D’Avignon à pied ?
    – Je suis un piéton de Dieu et d’Avignon… où j’ai eu le bonheur de m’entretenir longuement avec notre Saint-Père. En fait, je suis avignonnais.
    Tristan n’osa demander : « Que venez-vous donc faire en Normandie ? » Comme la miche de pain et la terrine de pâté venaient d’être déposées devant lui, il les poussa vers le moine qui ne se fit pas prier pour les entamer. Tandis qu’il étendait le hachis de viande sur la mie solide et même dure, il révéla :
    – Je vais, je viens quand le pape l’ordonne. Tenez : je suis allé à Metz avec le légat pour recommander à Charles IV d’Allemagne le jeune dauphin de France… Et j’étais encore à Metz, en Lorraine, à la fin de l’année 1356 avec les archevêques de Trêves, Mayence, Cologne, les ducs de Bavière et de Saxe, le roi des Romains, les évêques de Strasbourg, Metz, Toul. Verdun et bien d’autres quand Charles IV ratifia l’alliance conclue neuf ans plus tôt avec le roi de France, alors duc de Normandie, et ses fils. Lorsque, deux ans après, l’été, ces alliés

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