Le poursuivant d'amour
de défiance. Tristan n’eut aucun mal à percer ses pensées : il avait failli mourir lors du rapt d’Édouard de Woodstock. Il répugnait à dégainer et à se battre encore.
– Va, dit-il. Mange et bois à ton aise.
Paindorge entra. Frère Chabrol sortit, son bourdon à la main : une grosse branche de coudrier dont l’extrémité, franchement courbée, simulait une crosse.
– Nous allons par où vous allez, mon père. Acceptez notre compagnie.
– Non, mon fils. La solitude est mon royaume.
– Nous vous prêterons un cheval.
– J’ai le pied plus dur qu’un sabot ferré.
– Vous n’avez rien !… Pas même un bissac et de quoi manger.
– Je communie dans chaque église. Le sacré pain me nourrit… et parfois de bonnes gens.
– Nous allons nous sentir coupables de vous rejoindre et de vous dépasser !
Une sorte de mansuétude éclaira le visage du clerc. 11 commença un geste de bénédiction qu’il interrompit avec une brusquerie dont la signification était simple : il se courrouçait.
– Seul avec Dieu, dit-il, comme Paul sur le chemin de Damas… Mais tu es bon, mon fils… Je suis ma voie. Suis la tienne généreusement. Macte animo ! Generose puer, sic itur ad astra.
Le moine s’en alla. Tristan se sentit empoigné par le coude.
– Que vous disait-il ? demanda Luciane.
Son anxiété signifiait que Paindorge avait révélé ses craintes.
– Il me disait, m’amie : Courage, enfant ! C’est ainsi qu’on s’élève jusqu’au ciel… en parlant de la voie que je suis avec vous… Une voie étroite : les Goddons d’une part, les Navarrais de l’autre. Nous aurions dû chevaucher de nuit… Nous aurions vu leurs feux…
– Il me faut une épée, dit sombrement Luciane.
*
Ils repartirent. Tristan, seul en tête, avançait dans la campagne au pas dansant de Malaquin. Il se haussait parfois sur ses étriers pour essayer de découvrir frère Chabrol, mais les haies, les arbres touffus gênaient sa vue.
« Il ne doit plus être loin de nous ! »
Ce ne fut point le moine qu’il aperçut mais, venant à sa rencontre, un geniteur 315 suivi de trois hommes également à cheval.
– Un seigneur et ses soudoyers.
– Amis ou ennemis ? dit Thierry tout en s’approchant.
– Paindorge, veille sur Luciane.
Les inconnus furent bientôt à une assez courte distance pour qu’on pût les juger sur leur mine.
– Ils sont quatre et nous aussi, dit Paindorge.
Cette égalité le satisfaisait.
« Deux faces basanées », songeait Tristan, « deux autres pareilles aux nôtres. Ce seigneur n’est pas né dans notre royaume. Il a une goule de mahomet !… Un Navarrais qui viendrait de Grenade ! »
Il salua les passants de la main avec juste ce qu’il fallait de courtoisie, sans se soucier de l’attitude de ses amis. Puis il se retourna. Les quatre hommes s’étaient eux aussi retournés.
Et arrêtés.
« Je n’aime pas ces façons… Des arbres à l’entour et des haies où l’on peut aisément se musser. »
Il aperçut alors dans un fossé, devant lui, le corps de frère Chabrol immobile. D’un bond il fut à terre et courut jusqu’à lui.
Face contre l’herbe, le bénédictin était mort depuis peu. Le retournant à deux mains, Tristan vit du sang sur sa bure à l’emplacement du cœur.
– Dévié 316 , dit-il, s’adressant à Thierry. Ses yeux sont grands ouverts et il semble sourire. Il ne s’est pas défié de ses agresseurs qui sont peut-être…
Se relevant et regardant le chemin parcouru, il vit revenir les quatre hommes. Cette fois, chacun d’eux brandissait une épée.
– Je crois, Thierry, que ça va chabler plus fort qu’à la saison des noix !
– Regarde à l’entour de nous, compère !… Avec tous ces gens-là, il nous faudrait nos coquilles de fer.
Au-dessus des buissons, des têtes apparurent, les unes échevelées, les autres coiffées d’un chapel de fer ou d’un capelier de mailles.
– Combien selon toi ?
– Quinze… y compris les quatre larrons à cheval.
– Pris comme des rats dans une nasse, grommela Paindorge. Luciane, il va falloir que vous teniez les chevaux.
– N’avez-vous point une épée sur le sommier ?
– Une épée d’arçon. Trop lourde…
– Pied à terre, Robert. Passez-moi vivement votre lame et prenez l’autre tout aussi vivement.
– Tiens, voilà leur chef, grognonna Thierry.
Un homme habillé d’un pourpoint de chamois et de chausses bicolores
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