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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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énorme, tellement trapu qu’il donnait l’impression d’avoir été progressivement raccourci par le port d’une armure dont il ne s’extrayait guère et qu’il portait avec l’affectation d’un enfant qu’on eût, à sa requête, pourvu d’un habit neuf depuis longtemps guigné. Front court, cheveux ombres, ternes et rares, barbe d’une semaine, d’un poil si dru que le tour des yeux en paraissait blanc, point de sourcils – dévorés sans doute par la cervelière – et deux grosses billes noisette, fixes, un tantinet ahuries comme les prunelles d’un dogue constipé. Son armure était simple. Le plastron tacheté révélait les libations perverties en buveries et des sangs jamais essuyés, non par indifférence ou manque de temps, mais par présomption. Toute sa personne dégageait une certitude : c’était un homme dur et féroce au besoin, d ’une énergie soutenue par un orgueil démesuré.
    – Mettez donc pied à terre.
    D’un regard, Tristan et Paindorge se concertèrent et obéirent. Les hommes d’armes qui entouraient leur chef s’éloignèrent.
    – Je suis Bertrand Guesclin. Vous me devez connaître.
    – De réputation, dit Tristan. Moi je suis Castelreng.
    – Un nom de Langue d’Oc… Et lui ?
    – Robert Paindorge, mon écuyer. Comme moi attaché au service du roi Jean et du dauphin Charles. Nous allons à Paris… Je dois être de ceux qui accompagneront le roi en Avignon. Veux-tu que je te présente mes trois chevaux ?
    – Dis-moi plutôt si tu connais bien le roi.
    – Assez… Lui et son ainsné fils me font confiance.
    – Évidemment puisque tu vas aller près de Jean chez le pape. D’où viens-tu ?
    – Coutances.
    – Remettez vos lames au fourreau… Ton second nom ?
    – Tristan.
    – J’aime pas… Ce gars qui forniqua Yseult et en eut du repentir me donne envie de dégorger.
    – Je n’ai pas d’opinion sur le nom que je porte. Et tu peux vomir tout ton saoul : ce sera peu de chose à endurer pour moi après tout ce que j’ai vu en traversant cette cité.
    Il dut y avoir un tressaillement sous l’armure. « Touché », se dit Tristan. « Va-t-il se courroucer ? » Non : il y eut un rire. Un rire aussi étroit que la bouche était vaste. Une main se tendit, privée de gantelet : poisseuse, dure, impérieuse. Tristan ne broncha ni ne dit mot.
    – Viens avec ton écuyer… Il y a une grange où nous avons mis des tables, des bancs, des tonneaux pleins et quelques filles.
    Tristan marcha près de ce guerrier qu’Ogier d’Argouges haïssait sans que Thierry, qui le lui avait dit, en eût fourni la raison. Une femme, peut-être et, dans ce cas, morte ou violée.
    – Pas vu de Goddons ou de Navarrais ?
    – Non.
    Ils entrèrent dans la grange. Paindorge se tint sur le seuil, les rênes des chevaux dans les mains, fier et paisible : on l’avait vu avec Guesclin, il ne pouvait rien lui advenir de mauvais.
    Cent hommes au moins peuplaient cette taverne improvisée. Des papillons, des mouches et moucherons tournoyaient entre les poutres du plafond, au-dessus des torches fumeuses. Devant une sorte de comptoir, des affamés se disputaient des quartiers de viande. On levait des hanaps, des gobelets, des touries. On se gavait de ce qu’on trouvait sous la main. On mangeait à l’entour d’une planche, d’un billot, d’un muret. Des chants fusaient éteints rapidement par des voix plus fortes et qui juraient. Des galfâtres passaient, titubants. Tous rassuraient leur pas à la vue de leur chef.
    – Celui-là me voit double… Il me craint deux fois ! De son brassard et de sa cubitière, Guesclin nettoya un bout de table, dit à deux occupants de partir et montra un bout de banc à Tristan :
    – Assis-toi.
    Des commères, la plupart débraillées, apeurées, s’insinuaient entre les tables. Une flaireur de vin, de viandes mornées ou saignantes et de sauces épaisses, stagnait.
    – Vous avez truandé cette cité…
    – Le droit de prise de toute armée du roi.
    – Mais tu n’es pas preneur du roi !
    – Bah !… J’aime à faire ce qui me réjouit… Je déteste boursiller 363 . Je vois grand et large comme ma hure !
    – Tes gars violent les filles.
    – Le droit de prise, toujours. Le viol est à la guerre ce que le vin est à la table.
    – Mais, objecta Tristan, les gens de ce village n’étaient point en guerre contre toi !
    – Tu vois les choses à ta façon, moi à la mienne. Tristan considéra longtemps

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