Le poursuivant d'amour
secours.
*
Les pluies cessèrent dans la dernière semaine d’avril. Le vent qui volutait autour de Montaigny céda le ciel à la brise. Mai apparut, arborant un soleil si ardent que Panazol, un jour, en revenant de Lyon, annonça que les terres des Aiguiers semblaient avoir fondu tellement on y pataugeait. Le sénéchal révélait ainsi, involontairement, qu’il était passé par Brignais et Saint-Genis-Laval soit à l’aller, soit au retour. Pour avoir accompli impunément ce détour, il devait compter quelques accointances chez les routiers toujours présents sur les lieux de leur victoire.
Mathilde avait accueilli son homme lige à l’ombre de l’écurie. Elle l’interrogea sitôt qu’il eut abandonné son grand roncin blanc aux soins d’Itier, le seul des trois palefreniers dont Tristan obtenait quelques mots et sourires.
– Dis-moi, Bertrand, les routiers sont-ils toujours présents à Brignais et sur les mottes à l’entour ?
Elle s’était exprimée sans frayeur apparente, comme assurée de ne rien craindre à Montaigny. Panazol lui sourit avec la présomption d’un Scipion au retour de Carthage.
– N’ayez crainte en quoi que ce soit. Je n’ai fait en chemin que de bonnes rencontres.
Sans plus de façons, il offrit son poignet à la châtelaine et pour parler plus à son aise la mena loin du portail où Tristan sellait Aiglentine.
« Ce rustique me le paiera ! »
Il s’était réjoui de sortir en forêt – davantage pour se livrer à l’inspection des lieux que pour s’y revigorer. Flairant désormais il ne savait quoi de contristant et même de dangereux pour sa personne, il n’en avait plus envie. Cependant, il atermoya pour soulager la jument de Mathilde de sa sambue (437) .
On était le dimanche 15. La veille, à l’aube, Panazol et deux soudoyers, Jabeuf et Herbulot, des anciens, étaient partis pour Lyon afin de s’y soulager comme ils disaient en s’ébaudissant grossement.
« Ils reviennent heureux, les testiculs 85 vides et le crâne plein de sornes 86 ! »
Panazol rejoignit les deux hommes. Ils entamèrent une parlure entrecoupée de rires. Se sentant impliqué dans cette joie vulgaire, Tristan s’approcha de Mathilde :
– Que t’a-t-il énarré que je ne dois apprendre ?
Il s’attendait à ce qu’elle répondît à sa question par une autre : « En quoi cela te regarde-t-il » Or, elle rit, elle aussi, en silence, avant que de se récrier :
– Crois-tu qu’il m’a enfin déclaré son amour ? Vas-tu le jalouser ?
Elle eût été comblée par cette contingence et convaincue qu’il l’aimait enfin selon ses vœux. Il se retint de s’esclaffer. Ombrageux, lui ? Il se fût à coup sûr montré anxieux et possessif s’il l’avait admirée, voire entourée d’une ferveur légère. Elle était loin du compte. Il s’empressa de rétablir la vérité :
– Les façons de cet outrecuidant m’indignent… Quant à le jalouser !… Ne sais-tu pas que ton sénéchal n’est qu’un rustique juste bon à fourcher du feurre et du faing 87 à l’écurie ?… Ah ! Certes, il aimerait mieux, en l’occurrence, se coucher dedans avec toi… Et peut-être, après tout, serais-tu bien aise d’être… enfourchée !
– Je ne te permets pas…
– Tu ne me permets rien au-delà de ton lit, mais il convient que tu le saches : tu t’avilis en accordant à ce huron plus d’intérêt qu’il n’en mérite.
On les observait. Non seulement les trois hommes retour de Lyon, au coude à coude, mais aussi les éphémères compagnons de Guillonnet de Salbris. Morsang et Beltrame se gaussaient sûrement de lui. À midi, désormais, il partageait leur repas à la gauche de Mathilde et ce lui était une gêne, presque une douleur, de se sentir épié, calomnié dans le tumulte né du contentement d’absorber la mangeaille et de licher du vin tellement piquant qu’il semblait du jus de chardon.
– Panazol m’a dit avoir rencontré un chevalier de ma connaissance.
– À Lyon ou à Brignais ?
– À Lyon, bien sûr !
Mathilde baissait le front : elle mentait. Pour reprendre, elle dit :
– Il nous visitera.
Tristan vit aussitôt cet inconnu se dresser entre eux et le mépriser autant sinon davantage que Panazol.
– Tu le connais. Il sait que tu es mon époux : Panazol le lui a dit.
– Est-ce… Naudon de Bagerant ? Il nous a connus tous deux… Ce forfante (438) m’avait rançonné, mais je lui dois rien, puisque
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