Le poursuivant d'amour
vous me haïssiez.
Tristan lut tant de compassion dans le regard dont la servante embrassait la chambre de Marie qu’il comprit avant même qu’elle se fût exprimée :
– J’aimais cette jouvencelle comme jadis j’ai aimé ma défunte fille. Je sais le sort qui sera vôtre si vous demeurez céans quelques jours de plus… Elle… Elle a chargé Panazol de vous occire… Vous n’êtes pas le premier, vous ne serez, hélas, pas le dernier dont les chiens se nourriront.
– Justement : elle va les lancer à ma ressuite 115 !
– Tout près de votre épée, il y a une escarcelle pleine de poivre.
Déjà, le visage d’Ydoine redevenait inquiétant. Et plus encore, hostile, puisque Mathilde réapparaissait.
– Que lui disais-tu ?
– Que je lui porterai de l’eau dans un petit moment.
Ydoine s’en alla, Mathilde s’étira, se cambra tout en bâillant longuement. Tristan s’approcha de l’étroite fenêtre et observa le ciel gris dans lequel une longue meute de nuages noirs se frayait un chemin vers le Ponant.
– Il va pleuvoir, dit Mathilde. Autant demeurer céans.
Sa huque vermeille tomba, révélant une nudité tellement connue que le regard de Tristan passa comme au travers.
– Viens te coucher : nous oublierons notre querelle.
– Cervole ne t’a-t-il pas suffisamment contentée ?
Elle s’assit au pied du lit, baissa la tête, et il n’aperçut plus que sa bouche pincée sur un cri, une injure.
– Voilà tout ce que je peux te mettre, dit-il, morose, en la couvrant de sa huque. Tu vois : tu en frissonnes de plaisir… Il est vrai qu’il fait froid.
Il avisa, sur une chaise, un damier dont les carreaux d’ivoire étaient parsemés de miettes de pain aussi dures que des graviers et gravillons. Il les chassa du tranchant de la main et trouva, tout près, une boîte contenant les pièces.
– Aimes-tu les échecs ?
– Je les aime quand je gagne… Voilà bien quatre mois que je n’ai pas touché un roi… ou un fou… Tu vas aisément me vaincre.
– Aisément, non, dit Tristan tout en posant l’échiquier sur le lit. Mais je vais essayer… J’ai grand besoin d’affirmer ma domination.
Mathilde eut un soupir agacé. Il vit que sa main tremblait en disposant les pièces. D’emblée, elle avait choisi les noirs.
VII
Prétextant qu’il devait étriller Malaquin, Tristan obtint d’aller à l’écurie.
– Pendant que tu y seras, dit Mathilde, occupe-toi aussi d’Aiglentine. Elle a le poil qui se ternit.
Avant qu’il eût franchi le seuil, elle jeta un regard du côté des tours portières afin de vérifier si le pont-levis était resté dressé depuis le départ de l’Archiprêtre.
– N’espère pas que nous sortirons, ajouta-t-elle. Non seulement, je me sens lasse, mais je t’en veux surtout de m’avoir battue.
Il semblait qu’en gagnant il l’eût déshonorée.
– Échec et mat en dix coups… Est-ce ma faute à moi si votre esprit errait bien loin de notre jeu ?… Sous votre robe ou sous mes braies !
Il sortit, descendit en hâte les degrés de pierre et traversa le tinel au fond duquel Ydoine entassait des bûches dans la cheminée.
« Allez-y », dit-elle d’un geste.
Il traversa la cour, se retourna et vit, sur le seuil du donjon, la meschine qui l’observait.
« Pourvu qu’elle n’ait aucun remords et ne me trahisse pas ! »
Il s’enfonça dans l’écurie. Malaquin y occupait la dernière parclose.
Tandis qu’il avançait, tapotant parfois la croupe d’un des roncins immobiles, alignés de part et d’autre de la ruelle traversière miroitante de leurs pissats, il sifflota comme lorsqu’il pénétrait en ces lieux sans autre intention que de soigner son cheval. Rien, dans son comportement, ne devait différer des mouve ments qu’il accomplissait alors. Cependant, le col de son pourpoint devenait trop étroit ; sa poitrine lui semblait aussi creuse qu’une cloche contre laquelle le battant de son cœur cognait avec un surcroît de rudesse. La volonté de s’enfuir, minutieusement amassée depuis son premier jour de réclusion à Montaigny, le dévorait, l’enfiévrait, le laissant pantelant et seul devant cette évidence : « De toute façon, réussite ou échec, c’est la mort. » Il se flagella, s’éperonna : « Tu réussiras ! » et parvint au bout de la travée.
Malaquin se détourna. Il avait son mors et ses rênes et devinait qu’il allait devoir galoper. Son œil brillait
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