Le poursuivant d'amour
Malaquin.
Il conservait sa main sur la bouche entre-close, et quand elle le mordit, la lame s’enfonça.
– Si vous tenez à la vie, ne recommencez plus. C’est parce que je vous dois la mienne et ne l’oublie pas que je répugne à vous occire, bien qu’au fil des jours et des nuits, vous ayez anéanti ma patience…
Tiens, je te dis vous… C’est déjà comme si je m’éloignais de toi !
Docile, elle avança. Fermement. Nul frisson ne dénonçait sa frayeur, mais il la devinait désespérée.
– Voilà Malaquin. Il est prêt à galoper… Je me passerai de selle aussi aisément que de vous… Détachez-le. Je sais qu’il ne vous fait pas peur !
Tristan fut tenté d’ajouter quelques mots crus, dignes d’un palefrenier. Le souvenir des captives de Brignais l’en empêcha.
Mathilde, docile, dénoua la longe du cheval.
– Bien, apprécia Tristan. Votre cou n’est point beau à voir.
Le sang qui affleurait l’échancrure de la huque, épais comme une glu, ne tarderait pas à se confondre avec le vermillon du vêtement.
– Hâtez-vous ! dit-il cependant qu’une nausée lui montait aux dents, moins de voir cette espèce de limace rouge glisser vers l’épaule pâle que de penser aux hommes assemblés dans la cour même si, pour tenir des seaux et des chaudrons, ils avaient renoncé à porter leurs armes.
– Je vais ôter ma main de votre bouche. Un cri et vous trépasserez.
Elle hocha la tête ; il enleva sa senestre. Mathilde sourit, appréciant la façon dont il procédait pour lui échapper. Toutefois, son sourire signifiait aussi : « Tu n’iras pas loin. » Qu’en savait-elle ?
– Amenez Malaquin dans la ruelle.
Sans rechigner, elle obtempéra, le poignard cette fois menaçant son sein. Elle frissonnait. Ses jambes la portaient à peine. Elle faillit parler.
– Quoi ? demanda Tristan.
Leurs regards s’accrochèrent. Quelque chose de tendre – ou plutôt de gourmand – passa dans celui de Mathilde.
– Pas un mot !
D’un mouvement du poignet, Tristan fit étinceler sa lame.
– Dame ! cria de loin Panazol. Cela va bien ?
Après un coup d’œil suppliant à celui qui la dominait enfin, Mathilde hurla :
– Oui !… Éteins donc ce feu… Je m’en vais te rejoindre.
Les grondements des flammes dévoreuses semblaient décroître. La fumée gagnait en épaisseur et en noirceur. « Il faut nous hâter. Bientôt, je retomberai au pouvoir de cette goton ! » Tout bonnement, sans qu’aucun sentiment ne parût dans sa voix, Mathilde augura :
– Tu vas m’occire.
Ses lèvres, ses joues tremblaient comme si elle venait de gober une mouche qui se refusait, elle aussi, à mourir.
– Je n’ai pas votre cruauté.
Malaquin piaffait. Cédant à un dernier sursaut d’orgueil, Mathilde détourna l’arme et voulut s’enfuir. Tristan la saisit par l’épaule, la ramena devers lui et lui donna une jouée qu’il redoubla si furieusement qu’un peu de sang suinta à la commissure des lèvres pincées sur un cri de douleur et de rage.
– Montez sur ce cheval… J’en tiens la bride.
Vaincue, Mathilde s’adossa au maître pilier de la sellerie, haletante, accablée de détresse et d’humiliation.
– Montez, vous dis-je !… Je ne puis vous aider : vous me joueriez un autre sale tour !
Involontairement, au moment où elle se juchait sur Malaquin, Tristan mit son pied sur un pan de la huque dont elle était vêtue. L’étoffe résista et se déchira de telle sorte que Mathilde se trouva dénudée jusqu’aux hanches. La cordelière étroitement serrée avait maintenu le reste du vêtement sur le corps.
– Eh bien !… Il s’en est fallu de peu pour que vous vous trouviez assise à poil sur ce destrier que nous monterons… à poil !
Elle se redressa si subitement que Tristan faillit abaisser son arme.
– Montez… Je vous pousse au cul !
Quelque outragée qu’elle parût, elle obéit. L’avait-il assagie ? Il sauta derrière elle sans que Malaquin désapprouvât ce nouveau fardeau sur ses reins. La poussant un peu du ventre et des cuisses – ce qui la fit se tortiller –, Tristan prit l’unique rêne dans sa senestre, menaçant du picot de sa lame un sein orné du sceau bleuissant d’un suçon.
– Vais-je sortir ainsi ? Laissez-moi me couvrir !
La voix devenait grêle. Celle de Tristan s’imprégna de compassion :
– Cette décence est un sentiment qui vous honore… Je suis sûr que la plupart des
Weitere Kostenlose Bücher