Le poursuivant d'amour
comme un diamant noir.
Ils se regardèrent.
– Nous partirons, chuchota Tristan. Ma vie ne dépendra que de toi.
L’animal secoua sa tête brune et plia le cou avant de gratter sa litière d’un sabot satisfait. Un long frisson fit couler de l’argent sur sa robe tandis qu’il secouait sa queue et sa crinière. Tristan fut tenté de dénouer la longe que Paindorge avait fixée à un barreau du râtelier. Il y renonça : l’impatience de Malaquin eût pu lui porter préjudice. Il ne sauterait dessus que lorsqu’il entendrait crépiter les chaînes du pont-levis.
– Attends-moi… Je vais sur le galetas…
Il accéda en hâte au sommet de l’échelle. Il venait d’apercevoir sa Floberge et l’escarcelle au poivre déposées sur un affenoir quand le cri d’Ydoine : « Au feu » provoqua le remuement qu’il avait imaginé sans extrême espérance, crainte d’une déconvenue. Or, la machination de la servante s’accomplissait : elle lui apportait son aide et certains gars de Guillonnet de Salbris – tous peut-être – participaient à la conspiration. Paindorge ne pouvait seul vouloir sa délivrance. La venue de l’Archiprêtre, la jactance et la mauvaiseté qu’ils lui connaissaient avaient eu raison de la réserve de Callœt, Jean, Morsang et Beltrame.
Il glissa prestement la bourse de poivre sous son pourpoint. Quelques pincées dévoieraient les chiens ! Il empoigna son épée, la fit jouer dans son fourreau et s’en ceignit, constatant avec déplaisir que, faute d’exercice et de maniement d’armes, il avait épaissi au faux-du-corps 116 plus qu’en aucun autre endroit. Il entendit craquer des poutres, ronfler des flammes sans rien voir d’autre de l’embrasement que des rougeoiements sur le seuil de l’écurie.
– Des seaux !… Courez au puits !… Faites la chaîne ! hurla quelque part Panazol.
Des cris perçaient les rumeurs des courses, et les bois et les murs de torchis dévorés craquaient sans interruption. « Comment, dans ce vacarme, vais-je pouvoir ouïr le cliquetis des chaînes ? » Les chiens hurlaient aussi, plus excités dans l’effroi qu’ils devaient l’être à la chasse. Comment le feu se développait-il ? Qui l’avait allumé, puisque la grosse Ydoine était demeurée sur le seuil du donjon ? Des seaux tintaient. Tristan pouvait entendre le claquement de l’eau sur les braises et le chuintement de son évaporation.
– Hâtez-vous ! Hâtez-vous !
Ivre de fureur et d’impuissance, Panazol s’égosillait sans obtenir l’émulation qu’il souhaitait. Tristan n’hésita plus :
« Il faut descendre… Inutile de demeurer mussé… Celui qui va déclore le pont-levis doit être en place. Il l’abaissera dès qu’il me verra… »
Il devait échapper à cette odeur de paille et de foin qui lui chatouillait les narines. Les chevaux commençaient à saboter ; quelques-uns hennissaient. Une rumeur d’affolement passait sur chaque file. Il pouvait voir, en bas, les croupes niellées d’ombres et de clartés dansantes. Seul Malaquin échappait à sa vue.
– Mon époux !… Tristan !… Es-tu là ?
Il eut juste le temps de s’enclore dans l’ombre.
– Cherche-le, Bertrand. Il ne peut-être qu’ici !
« Merdaille ! »
Il allait bien falloir qu’il descendît !… Ne pas remuer. Attendre. Heureusement, Panazol était seul. Choisir une position de repli : ce gros tas de paille, là-bas… ou bien demeurer derrière cette poutre de soutènement et plonger dix pouces de la Floberge dans le ventre du coquin dès qu’il apparaîtrait… Attendre, l’angoisse agriffée aux tripes comme une araignée monstrueuse.
– Cherche, Bertrand !… C’est à lui que nous devons ce feu !… Cherche !
Elle lui parlait comme à un chien.
Dehors, des hurlements plus drus – désespérés. Ils ne pouvaient cependant recouvrir le craquement tant attendu des chaînes.
« Ça y est !… Le pont s’abaisse ! »
– Tristan !… N’aie aucune doutance 117 … Montre-toi !
L’échelle bougea. En trois bonds, Tristan fut derrière le tas de paille, accroupetonné, l’épée basse, hors du fourreau. « Il était temps ! » Cette constatation le rasséréna tandis que Panazol apparaissait, la tête et les épaules, puis le corps tout entier.
Immobile, il hésitait à faire un pas, scrutant les tas de paille et de foin dans l’obscurité où venaient s’échouer les clartés de l’incendie. Le silence le
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