Le poursuivant d'amour
passa dessous et chut dans l’eau croupie tandis que par un involontaire mouvement de bienveillance, Tristan, d’une main, retenait sa huque.
– Vous avez bien fait de l’ôter pour être plus à l’aise… Tenez, je l’accroche à cette branche… Lavez-vous bien de vos péchés… Nulle eau ne vous convient mieux que celle-ci !
– Maudit traître !
Les cheveux de Mathilde ruisselaient, déchiquetés et comme amincis par l’eau dont ils étaient gorgés. Ses seins soulevés par son souffle et son courroux étaient couverts çà et là de menues feuilles, et ses cuisses, son ventre tachetés de boue, luisaient comme des pièces d’armure. Elle chancelait. Elle faillit tomber sur son séant et leva sur Tristan des yeux dévorés d’ombre.
– Monstre ! Dire que je t’ai sauvé de la mort.
– Pour me faire occire, quelques semaines plus tard, par Panazol ou un autre !
– Qui te l’a dit ?
– Je le sais, et cela me suffit.
Il n’avait compté ni les jours ni les nuits passés en sa compagnie. Lui qui toujours avait été sobre, il se souvenait d’avoir bu, certains soirs, plus que de raison, puisque les pichets de vin ne lui étaient pas ménagés. La vision de sa vie suscitée par la griserie consécutive à ces libations rendait moins nettes les limites de sa prison et la pesanteur de son assujettissement.
– Comme il est bon, dit-il, de se sentir libre.
– Je te souhaite, félon, de waucrer 124 dans cette forêt jusqu’à ce que tu en meures !
– Je vous souhaite, moi, de ne pas prendre froid.
Comme elle se reculait pour assurer son équilibre, Mathilde chut, derechef et se releva. Elle avait maintenant de l’eau jusqu’aux cuisses.
– Lavez-vous bien !
– Que Satan t’embroche !
– S’il vous embrochait d’une façon ou d’une autre, vous vous pâmeriez tout autant… À Dieu, dame ! Je m’efforcerai de conserver de vous…
Baissant la tête, Tristan vit luire à sa senestre l’anneau qui n’avait cessé de lui rappeler inégalement sa sauvegarde et sa servitude. Pendant la durée d’un souffle, il demeura comme hébété d’avoir supporté si longtemps ce témoin maintes fois regardé en imaginant la façon dont il s’en libérerait à jamais. Eh bien, le moment de s’en défaire était arrivé.
Le petit cercle d’or ne résista point trop à la traction qu’il exerçait sur lui. Sans même y jeter un ultime coup d’œil, il le lança par-devers Mathilde. Il toucha l’eau sans bruit juste devant ses jambes.
– Qu’est-ce donc ? demanda-t-elle.
Et tout en concentrant sa volonté sur cette question, elle tâtonnait dans la fange afin de retrouver l’objet.
– Le seul maillon, m’amie, de notre chaîne. Or, la voilà brisée définitivement.
Pour la première fois sans doute de sa vie, Mathilde ressentit, outre la fureur de l’humiliation, les affres d’un isolement qui pouvait la livrer impuissante à sa meute.
– Tristan ! hurla-t-elle, suppliante.
Il talonna Malaquin. Sa tête, désormais, devait se vider de tous les miasmes qui l’avaient infectée. Il avait grand besoin de liberté, de suavité, de pureté. Fragile, lumineux, éclipsant tout dans les décombres d’une aventure dont la fin le laissait insatisfait et amer, un fin visage de jouvencelle blonde prenait possession de ses pensées tandis que loin derrière lui, des cris dilacéraient le silence des arbres.
Il atteignit le sommet d’une colline. Quelque part, un feu flambait, rouge comme un fragment de soleil.
– On dirait une failloise (452) mais je serais sot de m ’y fier. Allons vers cette lueur, Malaquin. Je vais répandre sur ces herbes le poivre de la grosse Ydoine.
Il extirpa l’escarcelle de son pourpoint, la soupesa et la trouva, pour son contenu supposé, singulièrement pesante. Il y avait, mêlées au poivre moulu, des choses plates et rondes.
– Arrêtons-nous, dit-il, perplexe, à son cheval.
Il dénoua les cordons réduits à une simple ficelle et ses doigts tremblèrent tandis qu’il tirait de la poche de cuir durci, égratigné par le temps et l’usage, une poignée de pièces de monnaie sur la valeur desquelles il s’interrogea tout en éternuant avec une espèce de rage tellement immodérée que Malaquin, apeuré, commit sa première incartade.
– Holà ! Holà ! Compère. Ce n’est pas le moment de me faire tomber.
Lorsque le cheval fut assagi, Tristan renversa son poing. Ses doigts se déplièrent et le trésor
Weitere Kostenlose Bücher