Le poursuivant d'amour
surface, mais furieux, au-dedans de lui, que le chemin redescendit vers le Serein et qu’il fut obligé de le suivre entre les troncs sinueux, verru queux où la nuit s’embusquait. Il devait sortir de cette forêt. Elle sécrétait du danger dans toutes ses ombres glauques. Silence de pierre. Tout se figeait. Pas un oiseau. Ni même un merle pour briser de son chant la gravité de cette catacombe immense où les pas du cheval, en crevant des tapis de feuilles pourrissantes, faisaient comme un coassement.
– Pas un bruit… Ils vont te pourmener 123 en silence et te tomberont dessus quand tu ne t’y attendras pas… À moins qu’ils ne sortent les chiens.
Il sourit. Mathilde en fut consternée. Mais elle pouvait avoir raison. Comment sortirait-il de ce labyrinthe où des brumes apparaissaient entre les ronces et les fougères ? Aucune étoile encore à qui se fier. Après avoir été captif à Montaigny, il semblait qu’il fut prisonnier de cette sylve, et Mathilde, à présent, riait de ce qu’elle prenait pour une déconvenue à la mesure d’une évasion parfaite dont l’issue maintenant paraissait compromise.
– Mal parti, pas vrai ?
– Nullement.
La lune apparut, et un petit vent qui fit chatoyer et frissonner les feuilles. Rien. Toujours aucun animal dans les herbes et les fourrés ; rien également dans les branches.
– Il semble que tu reviens sur tes pas.
Tristan n’eut garde de répondre. Non, il ne rebroussait pas chemin. Il n’avait jamais entrevu ces étangs, là-bas ; ni ces roches ni ces cohortes de fayards entre lesquels Malaquin s’insinuait avec précaution, ni ces arbrisseaux que le cheval repoussait du poitrail.
– Nous serions plus heureux au donjon, dans ma chambre.
Mathilde soupira. Il connaissait ce soupir. Elle dit d’ailleurs, craignant qu’il n’en eût pas perçu le sens :
– J’ai froid… Tu sais comment me réchauffer… Je suis toute nue.
Cette mésaventure ne faisait pas que l’effrayer : elle l’excitait. En s’étant placée face à lui, les cuisses largement ouvertes, elle s’était crue capable de le vaincre, de l’embobeliner, puis d’obtenir son repentir. Elle insista :
– Jamais nous n’avons fait cela ainsi… Avoue que ce serait dommage que tu ne nous chevauches pas tous les deux : moi et Malaquin !
– Ensuite, dit-il, si nous ne tombons pas, vous roucoulerez comme une jouvencelle qui vient de se donner pour la première fois, après moult réticences, pour ferrer une grosse pièce !
– J’ai froid. J’ai peur de tous ces arbres… Revenons à Montaigny…
Elle passa ses mains sur son corps, frileusement, puis saisit l’extrémité de ses tresses et se brossa les seins, le ventre. Quand Tristan la sentit approcher de son visage, il se recula et faillit verser. Elle tenta de poser ses jambes sur les siennes.
S’il cédait à la tentation, ce ne serait pas, comme elle l’espérait, pour lui fournir en nature une espèce d’acompte sur des délices à venir, mais une façon de s’acquitter du reliquat d’une dette de reconnaissance déjà suffisamment remboursée.
*
– Reviens à Montaigny… Nous effacerons tout !
– À peine en aurais-je franchi le seuil que tu me ferais enfermer ou occire… Je te connais bien, Mathilde. Tu te pâmes de haine aussi bien que d’amour… Tu n’es qu’une succube que sa voracité perdra !
La nuit se resserrait ; les étangs exhalaient des brouillards diaphanes.
– Tu te perdras, toi, parmi ces arbres.
– Crois-tu ? Je vais sortir de ta vie… Le roi dictera à l’un de ses tabellions quelques lignes pour le Saint-Père… Notre mariage sera dissous… Ta liberté recouvrée te donnera moult avantages… Tu te remarieras, tu seras heureuse jusqu’à ce que tes chiens le soient lorsque ton époux, plutôt que de peser sur ton corps, te pèsera sur l’esprit…
– Je te hais.
– Il m’est advenu de te haïr dans les moments où tu croyais que je t’aimais très fort… Ce soir, je ne t’ai pas en exécration. Cependant ta présence commence à m’encombrer comme elle encombre Malaquin.
Ils longeaient un étang. Mathilde voulut griffer cette proie qu’elle croyait bien connaître, qu’elle croyait même avoir reconquise en quelques coups de reins.
– Holà !… Bas les pattes !
Malaquin, sentant sur son dos la discorde, hennit et se cabra pour se libérer du poids qui pesait sur son cou. Tristan leva et tint bon les rênes ; Mathilde
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