Le poursuivant d'amour
apparut sur sa paume, brillant et saupoudré de noir.
– Des deniers tournois !… Trois… cinq… huit… Dix !
Le compte fait, il souffla sur cette manne inespérée.
– Seigneur ! Seigneur !… Je me repens d’avoir mésestimé la grosse Ydoine… Courons vers ce feu, Malaquin, en souhaitant qu’il nous soit propice… Mais avant, vidons cette bourse.
Sitôt le poivre répandu, ce fut au cheval d’éternuer. Ensuite, les naseaux dégagés, il ambla prudemment vers la lueur entraperçue tandis que l’escarcelle dégonflée des deux tiers de son volume réintégrait le porte-gousset du pourpoint.
*
– Un village, dit Tristan à voix basse.
Parvenu à proximité d’un clocher devant lequel brûlaient quelques meubles empilés sur un lit de sarments, il mit pied à terre et avança, méfiant, son épée battant sa jambe. Il en avait perdu l’habitude.
– Un hameau. Il doit y avoir une épidémie pour qu’on y crame ainsi des tables et des bahuts sans que personne n’apparaisse…
Soudain, il s’arrêta, saisi d’angoisse, au bruit d’une galopade.
– Cinq ou six chevaux… Ces hommes peuvent être de Montaigny. Ils ont vu le feu et accourent… Viens, Malaquin, derrière cette grange.
Il y avait un mur en ruine ; ils le franchirent. Rencogné dans une ombre grasse, puante – il piétinait du fumier –, Tristan vit apparaître les inconnus qui semblaient chevaucher à vau-vent.
– Arrêtons-nous, dit l’un d’eux.
– Non !… Tous ces démons sont à notre ressuite. Plus nous galoperons, mieux cela vaudra.
– Tu as raison, Paindorge. Continuons.
– Plus loin, on trouvera quoi ?
– Une cité du nom de Mornant. Nous y serons à l’aise et en sécurité.
– Je voudrais savoir, Callœt, ce qu’est devenu Castelreng.
Tristan tira Malaquin par la bride et sortit de son refuge :
– Castelreng ?… Le voici, compères ! Veuillez accepter ses louanges et agréer sa compagnie.
DEUXIÈME PARTIE
LA PRISONNIÈRE DE COBHAM
I
– Paris ! s’écria Paindorge.
– Paris ! reprit Morsang. Nous venons de franchir la dernière montée.
– Le jour de l’Ascension (453) dit Tristan tout en frottant ses reins endoloris par il ne savait combien de lieues de chevauchée. Quelle cité traversons-nous en ce moment ?
– Gentilly, messire… là où saint Eloi, à ce qu’on dit, fit bâtir un monastère.
– Là où, Callœt, il y eut un concile en présence de Pépin le Bref. Mais ne nous attardons pas, même le temps de vider un gobelet de vin. Plus tôt j’entrerai au palais, plus tôt j’obtiendrai une audience du roi.
Et Tristan talonna Malaquin.
« Quel long reze (454) ! » songea-t-il. « Momant, Sainte-Foy – l’Argentière, Thiers où j’ai fait aiguiser mon épée, Montluçon, Châteauroux, Romorantin, Orléans… Moult cités et villages ruinés soit par les routiers, soit par les Goddons… Châteauroux que l’on reconstruit et qui fut détruit par le fils du roi d’Angleterre… Et pourquoi ? Parce que ce linfar ne pouvait maîtriser le château… Et ce petit bourg d’Orly où nous venons de passer la nuit… Hommes, femmes, enfants qui n’avaient pu fuir à l’approche des Anglais s’étaient assemblés dans l’église comme on se réunit parfois dans un donjon… Ils ont résisté jusqu’au dernier… Deux cents morts (455) … Dieu ait leurs âmes. »
– Qu’allons-nous devenir ? demanda Jean, le jeune arbalétrier. Aussi vrai que mon nom de famille est Buzet, je suis prêt à vous suivre, messire Tristan, parce que moi, il faut me commander. Je ne saurais, seul, entreprendre quoi que ce soit.
– Moi également, dit Callœt. Breton, messire, j’ai la tête dure et sais me battre… Il me plairait de vous servir.
Tristan ne sut que répondre. Ces gars étaient solides, francs et accorts. Honnêtes aussi, sans doute, dans la mesure où l’étaient les hommes d’armes du royaume. Il se détourna et leur sourit :
– Votre attachement me plaît, mais vous le savez, je suis un chevalier pauvre, la chevalerie n’étant pas une assurance de noblesse grande et puissante, et l’adoubement n’emplissant aucune escarcelle…
– Vous auriez dû rober quelques poignées d’or à la dame de Montaigny !
Des rires s’élevèrent. Nul n’en avait parlé jusqu’à ce jour, et il fallait que Beltrame eût fait allusion à Mathilde pour qu’après cet accès
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