Le Pré-aux-Clercs
la dague !… ou je t’étripe ! »
Bien que dans sa fureur il n’arrivât pas à s’expliquer clairement, Beaurevers comprit très bien ce qu’il voulait dire. Lui aussi avait sa dague à la ceinture. Il dédaigna de la tirer du fourreau. Il attendit de pied ferme, sans faire un geste.
En deux enjambées, Rospignac fut sur lui, et voyant qu’il ne se mettait pas en garde, hoqueta :
« Tu ne veux pas !… Tant pis pour toi ! »
Il leva et abattit le poing armé dans un geste foudroyant.
C’est ce qu’attendait Beaurevers. Il pivota sur les talons et s’effaça, simplement. Le bras de Rospignac s’abattit dans le vide. Emporté par son élan, il chancela. Alors, à son tour, Beaurevers leva le poing et le laissa tomber comme une masse sur le crâne de son adversaire.
Rospignac s’affaissa, à moitié assommé.
D’un bond, Beaurevers fut sur lui. D’un coup de pied, il envoya dans le ruisseau le poignard échappé de la main du baron. Il se baissa, saisit Rospignac au col et à la ceinture et l’enleva comme une plume.
« Tu vois que je suis plus fort que toi, de toutes les manières », dit-il.
Et avec une froideur effrayante :
« Maintenant, retiens bien ceci : si tu tiens à ta peau, ne t’avise plus de nous suivre ou de nous faire suivre, moi et mes amis, comme tu le fais depuis quelque temps… File maintenant et que je ne te retrouve plus sur mon chemin ! »
Chose incroyable, Rospignac montra un calme stupéfiant après une telle algarade. Il se secoua, passa son mouchoir sur sa joue que zébrait une marque sanglante, redressa les plis de ses vêtements froissés, et se campant devant Beaurevers, les yeux dans les yeux, d’une voix blanche :
« Tu as eu tort, dit-il, de ne pas me tuer quand tu pouvais !… Garde-toi bien, Beaurevers, garde-toi bien… Tu tomberas dans mes mains, vois-tu, et je te jure que je ne ferai pas grâce, moi !
– Bien, dit froidement Beaurevers, je me tiens pour dûment averti. File, maintenant !
– Pas encore », répondit Rospignac avec le même calme extravagant.
Il se dirigea vers Fiorinda et s’inclina galamment devant elle.
« Madame, dit-il, les excuses que je me suis refusé à faire sous la pression de la menace, je veux vous les adresser spontanément. Je vous prie humblement de pardonner à un malheureux que la jalousie affole et conduit en aveugle et qui se désespère de voir son amour cruellement repoussé. »
Ayant prononcé ces paroles d’une voix basse, ardente, avec un air de noblesse qui ne manquait pas de grandeur, Rospignac s’inclina une dernière fois devant Fiorinda et se dirigea d’un pas qu’il fit rude, insolent, vers le cercle de badauds qui s’était formé autour d’eux.
Rospignac se retourna et, montrant du doigt la trace sanglante qui balafrait sa joue, cria :
« Nous nous retrouverons, Beaurevers ! »
Et il partit, sans attendre la réponse.
XIII – À L’HÔTEL DE CLUNY
Lorsque Rospignac se fut éloigné, Beaurevers, à son tour, regarda d’une façon significative les quelques curieux tenaces qui s’obstinaient à baguenauder autour de lui. Ils comprirent aussitôt que l’air de la place devenait malsain pour eux, et ils se hâtèrent de tirer au large.
Un seul de ces curieux s’entêta. C’était un vieux mendiant cassé, voûté, sordide.
Croyant avoir éloigné les indiscrets, Beaurevers s’approcha de Fiorinda et :
« Gardez-vous bien, ma petite Fiorinda, dit-il. Les excuses de ce Rospignac ne me disent rien qui vaille. Il doit méditer un mauvais coup.
– Je ne suis pas dupe, et je saurai me garder, je l’espère. Mais, vous-même, monsieur de Beaurevers, vous voici un ennemi implacable sur les bras… et par ma faute, hélas !
– Ne croyez pas cela, Fiorinda. Depuis quelque temps, Rospignac et moi nous sommes aux prises dans une lutte sourde, acharnée. Ce n’est pas le hasard qui m’a amené ici, c’est Rospignac lui-même que je suis depuis ce matin. Et il faut que je me remette à ses trousses. Je ne veux pas m’en aller cependant avant de vous avoir dit ceci : si quelque danger vous menace, n’hésitez pas à me faire appeler. Un appel de vous, rue Froidmantel, et vous me verrez accourir.
– Je n’oublierai pas », fit-elle d’une voix étranglée par l’émotion.
Sans paraître remarquer cette émotion, il reprit :
« Si vous avez besoin d’un refuge sûr, allez trouver Myrta. Vous savez où la trouver ?
– À la petite maison
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