Le Pré-aux-Clercs
Beaurevers, ils sont tombés sur des gens qui ne veulent pas se laisser faire ! Pas de chance ! »
Cette fois, il ne se trompait pas.
Les archers, au premier étage, avaient à moitié enfoncé la porte d’un appartement qui ne s’ouvrait pas assez vite à leur gré. Ils opéraient là brutalement : l’appartement leur était signalé comme suspect.
La vieille servante qui venait leur ouvrir fut enlevée en un tournemain, avant d’avoir pu donner l’alarme à ses maîtres. C’était l’heure du souper : cinq heures. Les archers fondirent dans la salle à manger qu’ils envahirent.
Autour de la table étincelante de cristaux, dix personnes étaient assises : le maître de la maison, un riche bourgeois, sa femme, leurs deux enfants et six convives, qui tous, devant cette violente intrusion, se trouvèrent instantanément debout.
Parmi les six convives se trouvaient deux officiers du roi de Navarre. Ces deux officiers n’étaient pas d’humeur à se laisser bénévolement arrêter. Et ils le firent bien voir.
Ils sautèrent sur leurs épées et les passèrent tout roide au travers du corps des deux archers qui allongeaient les griffes pour les saisir au collet. Le pis est que les deux malheureux furent tués net.
Ce fut une stupeur. Parmi les gens de police, mais non parmi les autres. Excités par cet exemple énergique, les quatre autres convives se joignirent aux deux officiers et, dégainant à leur tour, tombèrent à bras raccourcis sur la troupe des archers désemparés par cette brusque attaque.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, quatre nouveaux corps allèrent s’allonger sur le parquet, à côté des deux premiers. Et naturellement c’étaient encore les gens de police qui faisaient les frais de cette capilotade.
Les autres se ressaisirent, voulurent venger leurs camarades. Et ce fut la mêlée. La table fut renversée, la vaisselle se brisa avec fracas. Les enfants et la femme poussaient des cris d’effroi. Le bourgeois – un digne homme, décidément – s’efforçait de calmer ses hôtes belliqueux qui ne l’écoutaient pas, d’attendrir les archers qui le bousculaient. Les protestants criaient :
« Sus ! Pas de quartier ! »
Les archers appelaient du renfort… et le sang coulait.
Les gens de police jouaient de malheur : deux ou trois des leurs étaient encore mis hors de combat. Et les six enragés huguenots, préservés par la suite d’on ne sait quel miracle, continuaient de taper comme des sourds. Et maintenant aux hurlements des enfants se joignaient les plaintes des blessés et des mourants.
Alors les archers survivants, jugeant que la place n’était pas tenable, se ruèrent vers la porte avec cette précipitation spéciale que donne la peur, et s’engouffrèrent dans l’escalier, qu’ils dégringolèrent plus vite qu’ils ne l’avaient monté.
Enhardis par le succès, les protestants voulurent les poursuivre.
Mais ils virent au bas de l’escalier les gueules violentes, terribles, des fauves de Rospignac qui, craignant de voir leur proie leur échapper, se lançaient à l’assaut. Au lieu de descendre, ils firent demi-tour et montèrent.
Cela alla bien jusqu’au deuxième. Là, il fallait franchir l’escalier de bois. On ne pouvait passer qu’un à un… Et la meute hurlante était sur leurs talons. Et là-haut se dressait Beaurevers, qui leur parut plus terrible peut-être à lui seul que ceux qui les poursuivaient.
Heureusement, Beaurevers avait compris.
« Tiens ! fit-il joyeusement, c’est du renfort qui nous arrive. Ma foi, il ne pouvait mieux tomber. »
Et saisissant l’énorme chenet, sans tourner la tête :
« Suis-moi, Bouracan », dit-il.
Et, d’un bond, il sauta sur le palier inférieur, suivi de Bouracan.
Les protestants avaient eu une seconde d’hésitation bien compréhensible. Ils furent vite rassurés, car Beaurevers invita :
« Donnez-vous la peine de monter, messieurs… Et faites vite, l’escalier est étroit. »
Quatre ne se firent pas répéter l’invitation et sautèrent dans l’escalier. Les deux autres – les deux officiers – comprirent aussitôt la manœuvre en voyant Beaurevers et Bouracan venir se camper au haut du large escalier de pierre. C’étaient deux braves, ces deux officiers. Ils vinrent immédiatement se ranger à leurs côtés.
Lorsque la meute déchaînée arriva à son tour au haut de cet escalier, elle se heurta à quatre épées flamboyantes qui semblaient
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