Le prince des ténèbres

longue gorgée.
    — Non, en effet ! Je me demande bien qui est l’assassin.
    — Dieu seul le sait ! Le roi ? Le prince ? Gaveston ? Ce damné favori sodomite est capable de tout.
    Corbett soupira.
    — Ou le meurtrier pourrait être l’une des religieuses, ou même ce bon prêtre de la paroisse.
    Il fit une pause.
    — Tu es prêt, maintenant ?
    — Comme toujours, mon maître.
    Ils se dirigèrent vers la loge du portier. Assez curieusement, l’homme était déjà levé. Affalé sur un banc, près du seuil, il se réchauffait au soleil, les mains serrées autour d’une chope de bière.
    — Je vous souhaite bien le bonjour, Messire !
    Il grimaça sous le soleil et fit une mimique de connivence à l’adresse de Ranulf.
    — Vous voulez nous quitter ?
    — Bonjour, dit Corbett en frappant doucement de sa botte celle de son interlocuteur. Oui, je voudrais partir, mais avant j’aimerais que tu nous montres l’endroit où l’on a retrouvé ces deux cadavres.
    — Quels cadavres ? riposta l’autre en jetant un coup d’oeil furieux à Ranulf.
    Le clerc se pencha et referma une poigne d’acier sur son épaule.
    — Ne joue pas au plus fin ! chuchota-t-il. Il y a environ dix-huit mois, on a découvert les corps dénudés d’un adolescent et d’une jeune femme dans la forêt. Ils avaient eu la gorge tranchée. Toi, tu es tombé ensuite sur le cadavre d’un petit chien de compagnie, pas très loin. Tu as pris le collier, vendu le fermoir en or et enterré les restes au pied du gibet.
    Corbett vit la peur s’emparer de l’homme.
    — Bon, enchaîna-t-il, il se peut que tu ne sois pas l’assassin, mais en tout cas, tu es un voleur ! Tu as dévalisé des morts et dissimulé des renseignements aux juges royaux et au shérif. Je suis prêt à l’oublier si… si tu acceptes de faire une petite promenade en cette belle journée.
    Sur un dernier regard venimeux à Ranulf, le portier reposa violemment sa chope de bière sur le banc, ouvrit la poterne en grommelant et les précéda sur le chemin poussiéreux qui serpentait entre les arbres jusqu’au village de Woodstock. Le portier marchait en tête, Corbett et Ranulf le suivaient d’un pas nonchalant. Le clerc aspira de bonnes goulées d’air frais en s’étirant.
    — Pourquoi faut-il voir cet endroit ? gémit Ranulf.
    — Par curiosité ! lui rétorqua Corbett.
    Soudain le clerc s’arrêta dans un tournant et saisit son serviteur par le bras.
    — Chut ! Ecoute ! siffla-t-il tandis que le portier continuait sa route, sans se rendre compte de ce qui se passait derrière lui.
    Ranulf tendit l’oreille en s’efforçant de faire abstraction des bruits de la forêt, du babillage des oiseaux et du bruissement de la sauvagine courant sous les épaisses fougères vertes. Puis lui aussi entendit les pas glissant sur l’ardoise fine du chemin. Le portier s’arrêta et se retourna. Corbett lui fit signe de se taire et de ne pas bouger d’un pouce. Quelqu’un approchait.
    — Je crois deviner qui c’est ! murmura Corbett.
    Ils perçurent une respiration haletante. Puis apparut une silhouette portant l’habit gris du prieuré. Corbett aperçut des joues roses et des yeux étincelants sous la guimpe.
    — Dame Catherine ! s’exclama-t-il.
    La soeur sursauta en poussant un petit cri et ses doigts voletèrent à sa bouche.
    — Bien le bonjour, Dame Catherine !
    — Bonjour à vous, Messire, répondit la religieuse, toute troublée. J’allais…
    Corbett quitta le couvert des arbres.
    — Ne mentez pas, ma soeur ! Dame Amelia ne vous permettrait jamais de vous promener seule, et je suis sûr que rien ne vous appelle au village !
    Le visage de Dame Catherine s’empourpra plus encore. Ranulf, en connaisseur, lorgnait sa poitrine généreuse qui palpitait sous la robe de laine grise.
    — Vous nous suiviez ! déclara Corbett. Je vous ai aperçue du coin de l’oeil quand je parlais au portier.
    — Je…
    La soeur détourna le regard.
    — Vous avez raison, je vous suivais, avoua-t-elle. Je vous ai vus en grande conversation avec le portier, puis vous êtes partis brusquement. Alors j’ai cédé à la curiosité.
    — Pourquoi ? lui demanda Corbett.
    Les traits de Dame Catherine se durcirent.
    — Vous êtes venus dans notre prieuré pour insinuer que des faits abominables s’y étaient produits, répondit-elle, acerbe.
    — Mais c’est la stricte vérité, ma soeur !
    Corbett se retourna et, d’un geste agacé,