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Le prince des ténèbres

Le prince des ténèbres

Titel: Le prince des ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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Messire !
    — Ou plutôt celui du Diable, que tu sers depuis belle lurette par tes beuveries nocturnes et ta paresse pour te lever ! plaisanta Corbett.
    — C’est à votre service que je suis resté trop longtemps ! grommela Ranulf.
    Il sauta du lit, se frotta les dents d’un doigt trempé dans du sel, se lava le visage dans de l’eau de rose, mit ses bottes et, précédé d’un Corbett encore goguenard, descendit prendre son petit déjeuner dans la cuisine.
    — Qu’allons-nous faire aujourd’hui, Messire ?
    Corbett, l’air pensif, mâchait un petit pain mollet tiré d’un panier couvert d’un linge blanc.
    — Crois-tu à l’Enfer, Ranulf ? demanda-t-il soudain.
    — Bien sûr ! Pourquoi ?
    Corbett désigna l’unique vitrail de la pièce, où l’artiste avait illustré à grand renfort de détails sa propre vision de l’Enfer : des démons aux yeux flamboyants de cruauté, les narines et la bouche exhalant leur souffle fétide, déchiraient la chair des damnés avec des tenailles chauffées au rouge et les transperçaient de clous rougeoyants tandis que d’autres battaient les malheureux avec des fouets et des pointes de fer. Ranulf examina le vitrail avec curiosité et un frisson d’angoisse lui parcourut l’échiné : certains pécheurs étaient jetés dans des fours brûlants ou des chaudrons d’huile bouillante, d’autres avaient les membres rompus sur d’énormes roues tournoyantes ; au bas du vitrail les guettaient serpents, dragons, vipères, furets, crapauds repoussants et vers immondes.
    — Si on regarde assez longtemps, Messire, on se croit véritablement en Enfer, commenta Ranulf à mi-voix. Pourquoi cette question ?
    Corbett sirota sa boisson, la mine songeuse.
    — Quel endroit paisible que ce prieuré ! Écoute !
    Son serviteur regarda à l’extérieur et prêta l’oreille aux divers sons de la communauté vaquant à ses occupations : cliquetis de seaux à lait, fracas de charrettes, gazouillis limpide d’oiseaux et en contrepoint les doux accents du plain-chant en provenance de la chapelle.
    — Comme c’est calme ! reprit Corbett. Et pourtant, j’ai la conviction que Satan lui-même, le Prince des Ténèbres, s’est échappé de ce chaudron de l’Enfer pour venir rôder dans ces lieux ensoleillés.
    Ranulf tressaillit.
    — Tu sais, Ranulf, poursuivit Corbett en s’essuyant les lèvres d’un linge, quand j’étais enfant, ma mère m’emmena un jour écouter un prédicateur célèbre qui décrivit l’Enfer comme un lac de fournaise grouillant de serpents venimeux. Les calomniateurs y entraient jusqu’aux genoux, les fornicateurs…
    Corbett jeta un coup d’oeil narquois à Ranulf.
    –… y étaient plongés jusqu’au cou, les traîtres et les adultères jusqu’aux yeux.
    Corbett sourit.
    — Je me rappelle bien ce sermon parce que mon père, un pince-sans-rire, se pencha vers moi et me chuchota qu’à en juger par son évocation éloquente de l’Enfer, le prédicateur devait y avoir fait un petit séjour !
    Ranulf se détendit en grimaçant.
    — Cela dit, reprit Corbett, en bouclant baudrier et épée, je me souviens d’une chose : ce prêtre était en réalité un homme d’une très grande bonté qui certifia à ma mère que notre sainte mère l’Église ne désirait qu’effrayer ses ouailles, à l’exception, précisa le clerc en regardant dehors entre ses paupières mi-closes, à l’exception des assassins, des tueurs et en particulier de ces fils de Caïn qui complotent la mort de ceux qu’ils détestent avec une froide et haineuse détermination.
    Corbett se tut un instant.
    — C’est ce dont il s’agit à Godstowe, Ranulf. D’abord, énuméra-t-il sur ses doigts, on a assassiné Lady Aliénor Belmont. Crois-moi, ce n’est pas un accident, mais un meurtre prémédité et commis de sang-froid. Ensuite, on a également tué cette soeur âgée, Dame Martha, parce qu’elle savait quelque chose. Et enfin, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un lien entre les cadavres retrouvés dans la forêt voisine et ces deux assassinats.
    La mine grave, il regarda son serviteur bien en face.
    — À mon avis, il est grand temps de dire deux mots à notre vieil ami, le portier !
    — Messire !
    — Oui ?
    — Je n’ai pas fini mon vin ! lança Ranulf, l’oeil torve.
    Corbett s’adossa au chambranle en souriant.
    — J’attendrai, mais ce n’est pas ce qui te tracasse, n’est-ce pas ?
    Ranulf avala une

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