Le prince des ténèbres
cheval le plus rapide et une monture de rechange ! Il devra galoper à bride abattue pour remettre un message à mon clerc, Corbett, qui se trouve au prieuré de Godstowe. Cette lettre doit absolument lui parvenir. C’est bien compris ? Allez maintenant !
Dès que Warenne eut disparu, Édouard se prit la tête entre les mains en essayant de maîtriser sa colère et sa terreur. Que se passait-il ? Pourquoi Corbett n’avait-il pas déjà tout tiré au clair ? Et son propre agent à Godstowe… ? L’oeil gauche du monarque se referma presque complètement tandis qu’il se mordillait la lèvre. Si Craon gagnait la partie, il le ferait payer cher à Corbett et à son agent !
Tandis que le roi Édouard d’Angleterre fulminait sur ce qu’il avait appris, le seigneur Amaury de Craon caressait son poignet endolori et lançait des ordres à ses serviteurs pour repartir sans délai vers l’Oxfordshire. Il avait avancé ses pions. Il fallait attendre, à présent. Oh ! il avait bien compris la mise en garde d’Édouard et aurait pu arrêter le jeu, mais il ne détenait, encore, aucune preuve. Il avait lancé une pierre, il devait voir où elle retomberait. Il pensait pouvoir rouler et leurrer le roi d’Angleterre, car lui aussi avait un agent à Godstowe pour surveiller Corbett. En outre, il avait reçu un message urgent de la part de son maître : un autre joueur participait à la partie, mais dans l’ombre… Montfort, le tueur. Craon pansait son poignet blessé… et son orgueil atteint. Bientôt, Édouard d’Angleterre serait échec et mat. Le seul danger viendrait de Corbett. Le clerc anglais allait, sans doute, mettre les bouchées doubles, soit pour résoudre l’énigme, soit pour la dissimuler habilement sous un réseau de demi vérités. Craon frotta son poignet. Il faudrait lui mettre des bâtons dans les roues. Il jeta un coup d’oeil sous sa tente : deux silhouettes sombres et encapuchonnées s’y tenaient accroupies.
— Nous retournons dans le Sud, leur cria-t-il. J’ai un petit travail pour vous.
Le lendemain de la rencontre de Ranulf et du portier éméché, Corbett décida que, pour le moment, il n’en apprendrait guère plus au prieuré, où les religieuses, en outre, s’affairaient aux préparatifs des obsèques de leurs deux compagnes. L’orage avait cédé la place au beau temps, et ils choisirent de se rendre à pied, plutôt qu’à cheval, au palais de Woodstock. Le portier, presque dessoûlé à présent, les accueillit comme de vieux amis et les accompagna à l’extérieur des murs pour leur donner quelques précisions sur le raccourci à travers champs.
Corbett apprécia beaucoup cette promenade qui lui permettait d’échapper à la lugubre atmosphère de deuil qui régnait à Godstowe. Le chemin, bien tracé, coupait à travers prairies et terres cultivées, en longeant, de temps à autre, des bosquets touffus. En moins d’une heure, ils furent en vue des créneaux et des tours du palais de Woodstock et débouchèrent bientôt sur une route qui menait à la porte, ouverte, du palais. Un sergent d’armes à la livrée du roi les arrêta et leur demanda ce qu’ils voulaient avant de les laisser passer. La cour fourmillait d’activité. Palefreniers, valets d’écurie et maréchaux-ferrants sortaient ou emmenaient des chevaux aux écuries tandis que marmitons et gâte-sauce apportaient, dans la cuisine, d’énormes quartiers de viande fraîchement découpés.
— Le prince doit nous attendre ! lança Ranulf sardoniquement. Un banquet, peut-être ?
— Un festin, certainement ! rétorqua Corbett. Mais je doute qu’il soit ravi de me voir.
Des palefreniers s’occupèrent de leurs chevaux pendant qu’un intendant pompeux, appartenant à la suite du prince, les précédait dans le vaste escalier qui menait dans l’immense salle de réception. Corbett savait que le roi aimait le luxe et Woodstock était le plus agréable des palais royaux, avec ses vastes dimensions et ses belles charpentes. On en avait restauré l’extérieur récemment : les pignons noirs avaient été redorés, les poutres repeintes en un superbe marron foncé et le plâtre nettoyé et reblanchi. L’opulence de la grand-salle coupa le souffle à Ranulf : les tapisseries resplendissaient de couleurs et de motifs or et argent, des nappes de soie somptueuses recouvraient les tables, le dos des chaises et les crédences. Des hanaps aux pierres fines étincelantes et des plats
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