Le Prince Que Voilà
friponne chatonie.
Qui eût vu le Comte de Brissac de
profil, comme il entrait chez my Lord Stafford, l’eût trouvé fort bel homme, ne
voyant ni la loucherie de son œil, ni la torsion de sa bouche. Sa vraie face,
si j’ose ainsi parler, ne se voyait que de face. Ce qui me ramentoit que son
maître Guise avait, lui aussi, deux profils fort différents, pour ce que la
balafre qu’il avait près de l’œil senestre faisait quand et quand pleurer ledit
œil sans qu’il en pût mais. Tant est que lorsqu’il riait, on le voyait rire de
son profil droit, et de son profil gauche rire et pleurer tout ensemble ayant
comme Janus, deux visages, et tous les deux trompeurs.
Il m’apparut vite, à l’ouïr de mon
cabinet, que quant à l’hypocritesse et chattemitesse humeur, Brissac valait
bien le Duc, pour ce qu’il commença par accabler my Lord Stafford de
protestations et jurements d’amitié qui se voulaient d’or, mais à les entendre
si lourdement résonner, n’étaient que plomb. Cependant, au bout de ce buisson
de compliments pointa vite l’oreille du renard, quand il proposa à my Lord
Stafford, de la part du Magnifique, de lui mettre une garde de ses gens en son
ambassade afin de la préserver, dit-il, de l’irruption et de la picorée du
populaire, lequel était en ces jours « comme taureaux échauffés »
que rien au monde ne pouvait retenir que la livrée du Duc.
— Comte, dit my Lord Stafford,
qui entendait bien le qu’est-ce et le pourquoi de cette protection qu’on lui
voulait bailler à seule fin de créer un lien diplomatique entre le Guise et lui
(par où il eût, en quelque mesure, « reconnu » le pouvoir de fait du
Duc en Paris) si ne suis-je pas céans un simple particulier. Le serais-je que
j’accepterais du bon du cœur la sauvegarde que le Duc de Guise a l’honnêteté de
me proposer, et l’en irais de ma personne remercier. Mais vivant en Paris ès
qualité de ministre et ambassadeur de la Reine Elizabeth auprès du Roi de
France ne peux-je ni ne veux-je accepter de garde, sûreté et protection d’autre
autorité que celle du Roi…
Ceci fut dit en français de façon
courtoise, mais résolue et décisoire, alors que le Comte s’était exprimé en
anglais qu’il parlait fort passablement. Cependant, en sa réponse où il mit
quelque passion (et se peut pour cette raison) le Comte recourut à sa langue
propre.
— Monseigneur, dit-il,
nous-mêmes sommes au Roi des sujets résolument fidèles. (Par la mort Dieu,
m’apensai-je, si l’air, qui hélas, souffre tout, se colorait en rouge chaque
fois qu’un homme débite fallaces et menteries, ce Comte-là ne tarderait pas
d’être enveloppé de vermillon.) Le Duc de Guise, poursuivit Brissac plus
onctueux que moine, n’est point venu en Paris pour faire peine et pièce au Roi,
mais pour étendre son aile protectrice sur les gens de bien de cette ville qui
lui étaient affectionnés et dont un complot avait résolu la perte, à telle
enseigne qu’on avait rempli l’Hôtel de Ville de potences et de bourreaux :
indubitable fait dont je vous prie et supplie, Monseigneur, de bien vouloir
instruire Sa Majesté la Reine d’Angleterre.
— J’ai ouï le conte de ces
gibets, dit my Lord Stafford avec raideur. Fait odieux, s’il était vrai, mais
qui requiert preuve, laquelle preuve eût été facile à donner en produisant les
gibets mêmes, ce que la Ligue, l’Hôtel de Ville en ses mains, n’a point jugé
expédient de faire. De reste, ajouta-t-il, non sans quelque irrision dans le
ton et la voix, ceux qui forment de grands projets ne sont pas tenus de révéler
leurs secrets desseins à quiconque, sauf à les faire éclater, à l’occasion,
revêtus des couleurs qu’il plaît à eux de leur donner.
Phrase qui, pour diplomatiquement
enveloppée qu’elle fût, et dosant au plus juste l’huile et le vinaigre, fit, à
ce que je pus voir, ciller Brissac et tordre sa bouche davantage.
— Ce que j’en ai dit, pourtant,
murmura-t-il d’une voix fort assourdie, n’est que pure vérité.
— La vérité est rarement pure,
dit gravement my Lord Stafford. Et vrai ou faux, quel que soit le prétexte
invoqué pour justifier l’insurrection de Paris contre son souverain, soyez bien
persuadé, mon cher Brissac, que les princes étrangers la recevront très mal,
considérant comme un dangereux et funeste exemple que le valet se hausse
au-dessus du maître et le chasse de son logis.
— Néanmoins, dit Brissac,
Weitere Kostenlose Bücher