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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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presque distincte :  
    —  I’ ll see you in heaven, dear.  
    Elle s’affaissa dans les bras d’Hazembat qui s’était précipité. Il fallut que le docteur lui tape sur l’épaule et lui dise qu’elle était morte. Il regardait sans comprendre ce corps torturé d’où la vie s’en était allée, vaincue après une lutte cruelle, ce visage labouré que même la mort n’arrivait pas à rendre serein. Cela lui semblait affreusement injuste et révoltant. Il avait souvent vu mourir, mais jamais de cette façon horrible. Le boulet qui écrase les chairs, la balle qui perce les tripes, la lame qui fend le crâne ou tranche la gorge, cela avait un sens : c’était une main humaine qui tenait l’arme. Même les maladies des marins étaient brèves et miséricordieuses. Mais pourquoi cette cruauté d’une puissance aveugle et inconnue ? Pourquoi ces destins hideux ? Pourquoi cette haine de l’amour et de la vie qui avait tué atrocement Betty et éteint la lumière du bonheur dans les yeux de Pouriquète ?  
    Il vit Mrs Merriman qui, ayant abaissé le masque de la résignation sur son visage, lisait dans la Bible le livre de Job au chevet de sa fille morte. Cela lui donna la nausée.  
    Mac Leod le prit par le bras et l’entraîna hors de la chambre. Il tira de sa poche un petit flacon plat de métal blanc, le déboucha et le tendit à Hazembat.  
    — Bois un coup, sailorr. Dans de tels cas, c’est le seul remède.  
    Machinalement, Hazembat prit une lampée et une coulée de feu descendit dans sa gorge. C’était un alcool extrêmement fort, à la saveur rude et un peu âcre. Cela ne s’épanouissait pas dans la tête comme le rhum, mais répandait dans les membres une vigueur bienfaisante qui laissait singulièrement lucide et alerte. Il prit une seconde lampée qui lui dégagea les idées.  
    — Qu’est-ce qu’il faut faire ? demanda-t-il en se tournant vers la porte de la chambre.  
    — Rien. Il n’y a plus rien à faire. La servante avertira les voisines et elles s’occuperont de tout. Les femmes s’entendent mieux que les hommes à ces choses-là. Viens chez moi. Puisque le whisky a l’air de te réussir, nous allons terminer la cure. J’ai autant besoin que toi de me saouler.  
    L’appartement du docteur était au premier étage d’une grande maison, près du port. Il était encombré de souvenirs rapportés de navigations sur les cinq océans. Pendant que le docteur fourrageait dans un buffet, Hazembat examinait les objets épars en désordre dans la pièce : un casse-tête africain, une bête étrange, mi-castor, mi-canard, conservée dans un grand bocal, un arc avec ses flèches curieusement empennées, une noix de coco sculptée en tête de nègre, une écaille de tortue… Il prit conscience soudain du fait étrange que son esprit, comme dédoublé, observait à la fois ces objets et son propre chagrin avec un égal détachement. Il savait que, quelque part, il avait mal et se regardait avoir mal non avec indifférence, mais avec une sorte de curiosité.  
    Mac Leod revenait, portant une grosse bouteille ronde.  
    — C’est la liqueur chantée par Robert Burns, dit-il. En celtique, on l’appelle uisque beatha, ce qui veut tout simplement dire « eau-de-vie ». On en a fait usquebaugh que les Sassenach, c’est-à-dire les Anglais, prononcent whisky. Nos montagnards d’Ecosse le fabriquent avec l’orge de leurs champs et l’eau pure de leurs torrents.  
    Avant d’emplir les verres, il prit une pincée de tabac dans une tabatière de corne et l’enfourna dans ses narines. Hazembat, qui n’avait jamais essayé de priser, se servit et le regretta aussitôt. Il éternua bruyamment, le nez et la gorge en feu. En riant, Mac Leod lui versa une rasade de whisky et se servit lui-même généreusement, puis il se carra dans un fauteuil.  
    — Maintenant, si tu me racontais ton histoire, sailorr ? Quelquefois, ça aide.  
    Et Hazembat, la langue déliée par le whisky, parla, parla, cherchant pour la première fois à dénouer et à rassembler les fils d’une existence qui l’enserrait comme un piège. Mac Leod sirotait son whisky d’un air pensif. De temps en temps, il laissait échapper un petit rire ou soupirait d’un air apitoyé.  
    — Tu crois en Dieu, sailorr ? demanda-t-il à un certain moment.  
    — Euh… je n’ai guère eu le temps d’y songer, docteur.  
    — Tu aurais perdu ton temps. Dieu, c’est un problème pour les

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