Le prix de l'indépendance
d’eau bouillante qui pue l’œuf pourri. Puis on me hisse au sec et on me force à boire cette immonde mixture. Mais, si je ne me soumets pas, Minnie menace de déposer une demande de divorce à la Chambre des lords sous prétexte de démence provoquée par l’abus d’actes immoraux. Je doute qu’elle le fasse mais me voici.
Denys Randall-Isaacs est le fils d’une Anglaise, Mary Hawkins, et d’un officier britannique, Jonathan Wolverton Randall, capitaine de dragons, mort à la bataille de Culloden. Sa mère est toujours en vie et s’est remariée à un Juif nommé Robert Isaacs, négociant à Bristol. Ce dernier possède, entre autres, une part d’un entrepôt à Brest. Denys est l’un de tes maudits politicards. Il entretient des liens avec Germain mais je ne peux pas en apprendre davantage sans attirer l’attention. De toutes les manières, on ne peut rien apprendre dans ce foutu trou qu’est Bath.
Je ne sais pas grand-chose sur Richardson mais je me renseignerai. J’ai écrit à des relations en Amérique. Oui, je suis discret, merci, et mes contacts aussi.
John Burgoyne est ici, en cure. Il se pavane comme un paon depuis que Germain a approuvé son plan d’invasion à partir du Canada. Je lui ai parlé de William et de sa maîtrise du français et de l’allemand, Burgoyne devant se faire accompagner de troupes du Brunswick. Toutefois, mets Willie en garde. Burgoyne se prend pour le commandant en chef de l’armée en Amérique, ce qui risque de faire grincer des dents Guy Carleton et Dick Howe.
Trois Flèches … Qui est la troisième ?
Londres, 26 mars 1777
Le Cercle des amateurs de beefsteak anglais, club pour gentlemen
— Qui est la troisième ? répéta Grey en fixant la lettre qu’il venait de lire.
— La troisième quoi ?
Harry Quarry tendit sa capote trempée au majordome, se laissa tomber dans le fauteuil voisin de celui de Grey et poussa un soupir d’aise en approchant ses mains du feu.
— Sacredieu, je suis gelé jusqu’à la moelle. Tu vas aller à Southampton par ce temps ?
Il agita une de ses grandes mains blanchies par le froid vers la fenêtre. Il tombait une neige fondue poussée presque à l’horizontale par le vent.
— Je ne pars pas avant demain. Cela devrait s’être arrêté d’ici là.
Harry fit une moue dubitative.
— Tu rêves ! Majordome !
M. Bodley trottait déjà dans leur direction, les bras chargés d’un grand plateau sur lequel il avait posé du gâteau au carvi, du biscuit de Savoie, de la confiture de fraises, de la marmelade, des crêpes au beurre roulées dans un petit panier protégé d’un linge blanc, des scones, de la crème fraîche épaisse, des tuiles aux amandes, un plat de flageolets avec du bacon et des oignons, des sardines sur canapés, une assiette de tranches de jambon assorties de cornichons, une bouteille de cognac avec deux verres et, pour la forme sans doute, une théière fumante avec deux tasses en porcelaine.
— Ah ! fit Harry, rasséréné, je vois que tu m’attendais !
Grey sourit. Quand il n’était pas en campagne ou en déplacement pour son service, Harry Quarry entrait invariablement au Beefsteak à seize heures trente tous les mercredis.
— Je me suis dit que tu aurais besoin de forces, Hal étant toujours souffrant.
Harry était l’un des deux colonels du régiment dont Hal était le colonel en chef ainsi que le propriétaire dudit régiment.Tous les colonels ne prenaient pas une part active aux opérations de leur régiment. Hal si.
— Ce tire-au-flanc ! maugréa Harry en saisissant la bouteille. Comment va-t-il ?
— Comme à son habitude, à en juger par sa correspondance.
Grey lui tendit la lettre que Harry lut avec un sourire croissant.
— Cette Minnie ! Elle le mène vraiment par le bout du nez !
Il reposa la lettre et prit son verre.
— Qui est Richardson et pourquoi te renseignes-tu à son sujet ?
— Ezekiel Richardson, capitaine. Il vient des lanciers mais a été détaché pour accomplir des missions de renseignements.
— Ah, il fait de l’espionnage, ton coco ? Un de tes amis de la Chambre noire ?
Quarry fronça le nez mais il était difficile de dire s’il dénigrait les « cocos du renseignement » ou réagissait au raifort qui accompagnait les sardines.
— Non, je ne le connais pas personnellement.
Grey ressentit la même angoisse sourde qui le tenaillait avec une fréquence accrue depuis qu’il avait reçu la lettre de William du Québec une semaine plus
Weitere Kostenlose Bücher