Le prix du sang
admiratives devant un grand jeune homme sans doute un peu trop déluré, car il venait de la ville. Seule la politesse exquise des deux visiteurs la rassurait un peu.
â Vous-même, osa bientôt Françoise en se faisant violence pour maîtriser sa timidité naturelle, vous avez terminé le cours classique, je crois.
â Il y a moins de dix jours. Cet après-midi, Amélie mâa montré les vestiges du feu de la Saint-Jean, sur la grève. Avoir su, je serais venu y jeter mon uniforme de collégien. Mais je veux bien attendre lâan prochain, et vous joindrez votre costume des ursulines à mon vieux suisse.
Cette fois, tante Louise sourcilla un peu devant lâaudace de la proposition.
â Attendez-moi quelques années, plaida Amélie. Je veux brûler le mien aussi.
Comme le chaperon le craignait, les plus jeunes souffraient toujours du mauvais exemple venu des aînés. Heureusement, elle pouvait compter sur la plus grande, toujours aussi sage.
â Si vous nâavez plus usage de votre suisse, ne serait-il pas convenable de le laisser à la disposition de jeunes gens moins fortunés que vous? Juste dans ce village, cinq ou six garçons étudient au Petit Séminaire grâce à lâaide de nos bons prêtres.
Tante Louise respira plus à lâaise. Si elle avait aperçu lâétincelle dans lâÅil de Françoise, elle aurait compris combien cette phrase si admirable servait de poudre aux yeux. Mathieu ne sây trompa point.
â Vous avez raison. à mon retour à Québec, je mettrai mon uniforme à la poste à votre intention. Je ne doute pas que vous saurez le remettre aux bonnes Åuvres de votre paroisse.
Amélie trouva le retournement de situation bien décevant. Les deux jeunes gens, quant à eux, gardèrent un moment leurs yeux croisés, un sourire complice aux lèvres.
â Et ensuite, quels sont vos projets dâavenir? demanda la jeune fille.
â Je commencerai des études de droit à lâUniversité Laval en septembre.
â Vous nâavez pas été tenté de reprendre le commerce de votre père?
â Ma mère sâen occupe très bien. Je ne voudrais pas faire dâelle une chômeuse, ni attendre le jour de sa retraite en me tournant les pouces pendant trente ans.
Dâune certaine façon, Françoise fut soulagée de comprendre que Marie Picard nâentendait pas venir sâinstaller à Rivière-du-Loup en laissant lâentreprise familiale à son aîné. Lâinitiative lui serait apparue cruellement hâtive. Elle jeta un bref coup dâÅil à lâautre bout de la table, où la femme buvait les paroles de son père.
â Plus sérieusement, continua Mathieu en suivant son regard, je pense que des études de droit me seront très utiles, même si je me livrerai au commerce un jour.
â Et la politique? demanda-t-elle.
â Jamais. Je ne pense pas être disposé à séduire sans cesse mes concitoyens.
La jeune fille décida de mettre cet état dâesprit parmi les qualités du jeune homme. Depuis de longues minutes, sa main ne revenait plus sur lâéchancrure de son corsage.
12
Le samedi se déroula un peu de la même manière que le jour précédent : des promenades à deux ou en groupe plus nombreux dans le village et ses environs, des activités réunissant des Dubuc de la parenté. Ceux-ci affichaient leur perplexité devant les visiteurs venus de Québec, supputant les intentions du député. Toutefois, Marie et son fils mettaient à profit des années à faire du commerce pour neutraliser les préventions contre eux, avec un grand sourire, une voix douce, des réponses à la fois brèves et franches aux questions posées.
à la fin, chacun feignait de croire au retour dâamis de la famille longtemps perdus de vue.
La grand-messe du dimanche matin posa un problème logistique dâun autre ordre. Paul, au moment de partir pour lâéglise, vêtu dâun costume sombre orné dâun brassard noir, proposa dâexiler ses filles dans le banc de parents au fond du temple pour faire de la place aux Picard dans le sien. Marie répondit en fronçant les sourcils :
â Jusquâici, je vous ai vu faire preuve dâun tact remarquable. Grâce à cela, vous les aidez
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