Le prix du sang
imbéciles qui le suivent se mettent à nous appuyer.
â Ailleurs au Canada, cet homme est accusé de trahison, compléta Dubuc en sâadressant directement à Marie. Nos adversaires pourront dorénavant murmurer que le Parti libéral est celui de la déloyauté à la mère patrie et le Parti conservateur celui du devoir sacré dû à son pays.
Son hôte lui soulignait une vérité si évidente⦠Soucieuse de préserver sa bonne entente avec celui-ci, Marie le remercia plutôt dâun sourire.
â Jeune homme, intervint bientôt Lapointe, la politique semble vous intéresser. Poursuivez-vous toujours vos études?
â Je commencerai mon droit en septembre.
â Vous nâavez pas songé à la théologie?
â ⦠Je ne me sens nullement la vocation.
Le député esquissa une moue railleuse. Dubuc expliqua à sa place :
â Bientôt, avoir la vocation deviendra le dernier souci de la majorité des jeunes gens qui feront ce choix.
Cette fois, ce fut à lâintention de ses filles, lesquelles posaient de grands yeux intrigués sur lui, que lâhomme sâobligea à expliquer :
â La loi de conscription anglaise prévoit quelques exceptions, dont les hommes mariés et les membres du clergé. Les étudiants en théologie comptent parmi ceux-ci.
Dâextrême justesse, Amélie se retint de proposer le mariage sur-le-champ à Mathieu pour lui éviter lâenrôlement obligatoire. Son humour tombait parfois à plat. Un regard à tante Louise la convainquit que lâinitiative ne serait pas bien reçue par toutes les personnes autour de la table.
* * *
Parfois, même lâexpérience acquise par vingt ans de travail dans un commerce se révélait insuffisante pour meubler une conversation. Devant madame Lapointe, Marie ne put éviter les longs silences embarrassés. Elle se consola en se disant que le défi rebuterait même ses collègues au bagout le plus assuré.
Paul Dubuc et le député au parlement fédéral émergèrent du bureau situé au rez-de-chaussée au terme dâun conciliabule long dâune heure. Pendant ce temps, non seulement la cadette des filles se laissa-t-elle recruter par une armée de cousins et de cousines afin de participer à la fenaison de la ferme dâun oncle habitant les environs, mais lâaînée se trouva entraînée en rougissant dans une longue promenade.
Un moment, Mathieu pensa lui offrir son bras. La couventine timide, cuirassée dans un vêtement de deuil, lui parut réfractaire à ce genre dâattention. Il préféra sâabstenir. Elle le conduisit vers le parc situé près de la rivière, commentant par des phrases souvent inachevées la vie du village. Heureusement, un petit orchestre juché sur une gloriette faisait les frais de la musique. Devant lâimpossibilité de maintenir à tout prix le rythme de la conversation, paraître absorbé par les airs entraînants donnait le change.
Fruit dâun curieux patriotisme, tous les musiciens amateurs du pays sâefforçaient de purger leur répertoire des pièces des compositeurs des pays ennemis. Cela voulait dire bannir des concerts Bach, Beethoven et Mozart, mais surtout les valses des Strauss, père et fils. Pareille amputation donnait une curieuse sonorité aux représentations offertes dans les parcs. Les marches de Pomp and Circumstance de sir Edward Elgar nâagissaient pas toujours pour le mieux sur les estomacs canadiens-français.
Après un moment, Mathieu se lança.
â Il y a des bancs près de la rivière. Ne souhaiteriez-vous pas vous asseoir?
â Oui, dâautant plus quâils se trouvent à bonne distance de ce⦠bruit.
Elle lui adressa un premier véritable sourire depuis le départ de la maison. Sans le savoir, ils se retrouvèrent bientôt sur le banc ayant accueilli leur parent quarante-huit heures plus tôt. Après un bref silence, la jeune fille risqua :
â Vous avez dit à Amélie que vous me trouviez jolie.
â Je ne croyais pas quâelle irait en courant vous le répéter. Je me suis senti gêné pendant toute la soirée, après cela. Mieux vaut ne lui confier aucun secret.
Françoise fixait un point au milieu de la rivière. Une brise rendait la chaleur un
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