Le prix du sang
Cela lui donna le courage de prendre son bras juste au-dessus du coude pour la forcer à se tourner vers lui.
â Je ne ferai rien de déplacé. Je ne répéterai peut-être jamais les mots que je viens de prononcerâ¦
Vit-il vraiment un peu de regret dans les yeux de sa compagne? Il sâempressa de continuer :
â à moins que vous mây autorisiez. Toutefois, souvenez-vous que je ne mens jamais aux personnes que jâestime. Si je crains de blesser, ou seulement de les troubler, il mâarrive toutefois de demeurer silencieux. Aurais-je dû me taire?
Comme elle gardait ses grands yeux sur lui, sans oser répondre, le garçon lui adressa son meilleur sourire en disant:
â Acceptez-vous de prendre mon bras pour rentrer à la maison? Votre père et son nouvel invité doivent avoir fini de régler le sort du Parti libéral.
Il joignit le geste à la parole. Françoise posa sa main gantée au creux de son coude. En silence, ils regagnèrent la rue de lâHôtel-de-Ville à pas lents. La maison des Dubuc se trouvait sous leurs yeux quand elle convint faiblement :
â Merci de mâavoir répondu.
Devant le regard interrogateur de son compagnon, elle compléta :
â Tout à lâheure, je vous ai posé une question, vous mâavez répondu. Merci.
â Jâaurais peut-être dû être moins⦠précis.
Elle secoua la tête, faisant luire sa chevelure sous le soleil.
â Vous mâavez répondu. Câest bien.
Le garçon serra les doigts posés sur son avant-bras. Sa compagne dormirait mieux, ce soir-là  : sa poitrine paraissait à la hauteur des attentes des grands garçons de la ville.
* * *
La route, étroite, longeait le fleuve tel un long ruban de terre brune. La chaleur la rendait poussiéreuse; un lourd nuage se soulevait à lâarrière de lâautomobile et demeurait un moment suspendu en lâair avant de retomber doucement.
â Heureusement que nous ne sommes pas dans un cabriolet, déclara Ãdouard en riant, sinon nous devrions porter des lunettes de protection et un grand cache-poussière.
Les longues excursions à la campagne en automobile demeuraient hasardeuses, seulement possibles durant les jours secs de lâété. En cas de pluie, un chemin comme celui-là sâencombrait dâornières si profondes que les roues pouvaient sâenfoncer jusquâau moyeu. Dans une voiture découverte, même les jours de beau temps, des lunettes de motocycliste protégeaient les yeux de la poussière, un long vêtement ample les habits et un foulard la bouche.
â Tu as une autre roue de secours, au moins? demanda Clémentine.
Juste après le village de Beaumont, une crevaison avait forcé le conducteur à sâarrêter sur le bord de la route afin de procéder au changement de la roue, sous les regards curieux dâune dizaine dâenfants accourus des environs. Certains avaient semblé voir un véhicule moteur pour la première fois.
â Oui, le concessionnaire en donne toujours deux, sans compter une provision de chambres à air et un ou deux pneus de rechange. Jâespère quâun forgeron pourra effectuer la réparation à Saint-Michel⦠Ce serait plus rassurant avant dâentamer le chemin du retour.
Le couple roulait depuis le matin. Après une longue discussion, souvent reprise, le jeune homme avait enfin consenti à effectuer une visite rapide dans le village dâorigine de sa maîtresse. Après plus de deux heures de route, ils purent stationner la voiture près de lâéglise paroissiale de Saint-Michel-de-Bellechasse, sous de grands arbres. Ils parcoururent la petite agglomération à pied, puis sâinstallèrent sur une grande pierre plate afin de contempler les embarcations à lâancre dans lâanse Mercier. Là aussi, un certain nombre de villégiateurs profitaient de la douceur du temps.
Après un moment, lâhomme sâenquit :
â Faisons-nous notre petit pique-nique avant que le repas ne soit gâté par cette chaleur?
Les dîners sur lâherbe connaissaient une vogue considérable. Lâallongement des temps de loisirs et le mouvement romantique favorisaient ces rendez-vous avec la nature. Clémentine acquiesça de la tête. Se souvenant de leur conversation au parc
Weitere Kostenlose Bücher