Le prix du sang
trop au milieu de la gare du chef-lieu de son comté? le taquina-t-elle.
â Il nây a que des touristes aux alentours.
â Soyez sage. Il y a aussi mon fils. Puis, enfin, nâavez-vous pas profité un peu du fait que personne ne se trouvait dans le couloir avant de quitter la maison?
â Si peuâ¦
Lâhomme joignit sa main droite à la gauche pour tenir celle de sa compagne. Sa perceptible gaieté témoigna de son appréciation du petit moment dâintimité.
â Dès le début de la session législative, je vous contacterai, Marie.
â Je serais très déçue si vous ne le faisiez pas. Je compterai même les jours.
â ⦠Jâaurai sans doute à me rendre à Québec dâici là . Dans ces temps difficiles, les discussions en tête-à -tête valent mieux que les lettres. Le téléphone et le télégraphe offrent trop peu de discrétion.
â Puis, votre zèle vous vaudra peut-être un poste de ministre. Dans cette éventualité, vous devriez séjourner la majeure partie de lâannée dans la Vieille Capitale.
Le sourire de la femme trahissait à la fois un espoir et un profond amusement. Le train entra en gare dans un grand fracas dâacier frotté sur de lâacier.
â Jusquâici, je nâai jamais caressé cette ambition. Vous me donnez la meilleure raison de le faire. Je ne tarderai pas à aller vous saluer.
â Je vous attends déjà .
Ãmu, après une dernière pression de la main, une caresse du bout des doigts sur la peau très douce du poignet, au-dessus du gant de dentelles, Paul sâen alla dâun pas rapide, se retourna brièvement au moment de quitter la surface de madriers et lui adressa un dernier au revoir de la tête.
Marie vint rejoindre son fils. Celui-ci tenait les deux valises et avançait vers la porte du wagon.
â Attends-moi, je reviens tâaider, fit-t-il en grimpant les trois marches.
Après avoir posé les bagages à lâintérieur, il redescendit pour tendre la main vers sa mère.
Au moment où ils sâasseyaient sur la même banquette, celle-ci annonça :
â Paul te salue⦠Il est parti un peu vite de la gare. Ses affairesâ¦
â Monsieur Dubuc nâa certainement pas pensé à moi au cours de ces quelques minutes, et câest très bien ainsi.
Elle regarda un long moment par la fenêtre, à sa droite. Le train se remit bientôt en marche. Elle aperçut alors brièvement le politicien assis dans sa voiture. Un cousin lui servait de cocher lors de ses séjours dans la petite ville. Lâhomme agita la main au passage du wagon. Elle lui répondit en appliquant sa paume grande ouverte contre la vitre.
Après de longues minutes de silence, Mathieu argua :
â Finalement, ce petit congé sâest révélé bénéfique.
â Oui, consentit-elle après une hésitation.
La locomotive fendait la campagne dans le jour couchant. Le soleil sâinclinait sur lâhorizon, de lâautre côté du fleuve. à la fin, elle commenta :
â Cet homme⦠Tu es certain que cela ne te dérange pas?
â Ton propre bonheur me rend heureux, je tâassure. Thalie pense comme moi. Ne te sers pas de nous pour justifier une mauvaise décision, si, à la fin, la crainte de bousculer un peu tes habitudes de veuve vertueuse lâemporte surâ¦
Mathieu nâosa pas aller au bout de sa pensée, trop incertain des plaisirs cachés dans une relation amoureuse. Bien plus tard, lorsque le train dépassa le village de Saint-Michel-de-Bellechasse, il confessa à son tour :
â Pour moi aussi, ce congé a été des plus agréables, même si des années me séparent sans doute dâun heureux dénouement. Et cela seulement si la vie ne me réserve aucune mauvaise surprise.
Sa mère délaissa la contemplation du paysage, devenu monochrome avec le crépuscule, pour regarder le jeune homme à ses côtés. Elle posa sa main sur son bras et le pressa un peu. Mathieu garda ses yeux clos, puis laissa échapper un grand soupir.
* * *
Jamais un chef de parti politique provincial nâavait trouvé un homme aussi bien disposé que Paul Dubuc pour prendre part à divers comités, du moment où les réunions se déroulaient à Québec. En
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