Le prix du sang
préciser :
â Ce nâest pas la même chose, tu sais. Je parierais que la plupart des garçons de nos voisins sont allés sâencanailler un peu dans Saint-Roch et Saint-Sauveur avant de sâengager dans un mariage tout à fait respectable. Même notre filsâ¦
Maître Paquet sâabstint de livrer le fond de sa pensée: « Le soir des noces, que lâun des deux conjoints sache un peu quoi faire nâest sûrement pas plus mal. » Son épouse rougit violemment, passant rapidement en revue les absences de son seul garçon au cours des dernières semaines. Surtout, où se trouvait-il depuis le matin?
â Je vais tout de même les surveiller de près. Les voilà qui se tutoient maintenant.
La virginité de sa fille méritait la plus grande vigilance. Devant les frasques des candidats au mariage, mieux valait détourner pudiquement le regard.
â Une mode venue des Ãtats-Unis, sans doute, grommela lâavocat.
Madame Paquet ouvrit sa revue. Une heure plus tard, elle se trouvait toujours à la première page. Vraiment, son fils?â¦
* * *
En vertu dâune tradition maintenant vieille de trois ans, le souper du premier jour de lâannée réunissait les Picard dans la salle à manger de la rue Scott, avec, bien sûr, lâaddition de Fernand Dupire et de ses enfants, présents et à venir. Ãdouard patienta jusquâà la fin du repas. Toutefois, au moment où Thomas donna le signal de la migration vers le grand salon afin de prendre un digestif, il déclara de sa voix la plus contrite :
â Je suis désolé, mais jâai un engagement en fin de soirée.
Le chef de la maisonnée le contempla un moment et réussit à grand-peine à retenir les mots qui lui brûlaient les lèvres. Eugénie ne montra pas la même retenue :
â Jamais les Paquet ne toléreraient une visite aussi tardive, car cela bouleverserait toutes les convenances.
Le jeune homme afficha un air mauvais, mais prit bien garde de prononcer un mot, conscient que lâhumeur noire de sa sÅur ferait peser une menace sur sa romantique idylle. Des confidences échangées au-dessus dâune tasse de thé atteindraient les demeures bourgeoises de la Grande Allée en moins de vingt-quatre heures. Ãvidemment, il ignorait quâà cet égard, les rumeurs délétères se répandaient déjà .
â Câest le premier de lâAn, fit Ãlisabeth en posant la main sur son avant-bras. Tu es certain de devoir tâabsenter?
Elle portait un chemisier de soie brute légèrement décolleté et un rang de perles autour du cou. La fin de la trentaine lui allait à merveille, ses cheveux brillants captaient la lumière du lustre et prenaient des reflets vieil or.
â Je suis désolé, maman. Cet engagement, auprès dâun bon ami, date de quelques semaines. Je ne peux pas me dérober.
â Il est neuf heuresâ¦
â Alors, je dois y aller tout de suite, pour ne pas allonger mon retard.
Alors que les autres passaient au salon, le jeune homme regagna lâentrée afin de revêtir son paletot et ses couvre-chaussures. Le froid exigeait le port dâun chapeau de fourrure peu élégant. La chance lui sourit pourtant, puisque la Buick accepta de démarrer après une dizaine de rotations de manivelle. Trente minutes plus tard, il frappa à la porte du petit appartement de la rue Saint-Anselme. Elle sâouvrit aussitôt sur une Clémentine aux yeux rougis.
â Je croyais que tu ne viendrais plusâ¦
â Je te lâai expliqué déjà , mes parents recevaient ma sÅur, son mari et leur garçon.
Bien sûr, elle le savait. Elle avait même osé formuler à haute voix lâidée de se joindre à eux. « Depuis le temps que nous sommes ensemble, ce serait normal », avait-elle argué à la mi-décembre. La scène résultant de ces quelques mots demeurait lâun de ses plus mauvais souvenirs. Son amant nâavait pas donné de nouvelles pendant toute une semaine. Seule une visite discrète dans les locaux du magasin Picard, un plaidoyer larmoyant prononcé dans les toilettes, la promesse de respecter dorénavant « sa vie privée » avaient pu finalement ramener Ãdouard dans ses bras.
Depuis, elle demeurait dâune soumission
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