Le prix du sang
exemplaire, soucieuse dâéviter toute nouvelle confrontation.
En conséquence, elle se soumit à un baiser sans tendresse, trop envahissant et à des mains plutôt rudes sur ses fesses. Le garçon paraissait tenaillé par une envie féroce, demandant une satisfaction immédiate et sans raffinement. Le passage dans la petite chambre ne tarda pas. Céder à son désir ferait baisser la tension, lâamènerait à une attitude plus aimable. Minuit approchait quand Clémentine osa évoquer ses états dââme :
â La journée a été si longue. Passer seule ces jours de fête devient insupportable.
â Alors pourquoi ne pas être allée dans ta famille? Tu évoques sans cesse tes frères, tes sÅurs, tes cousins, tes cousinesâ¦
â Tout le monde me demande pourquoi je suis toujours seule, à mon âge.
Le visage de son compagnon se ferma de nouveau. Elle regrettait déjà ses mots. Dans quelques minutes, il regarderait sa montre, évoquerait la nécessité de rentrer, puisque le lendemain matin, dès la première heure, il devrait conduire son père au magasin.
La scène revenait sans cesse, comme un mauvais film.
15
Lâannée 1917 commença sous de mauvais auspices. Les discussions à propos du Service national soulevaient les passions. Les Canadiens français y voyaient le préalable à la conscription. Dans les journaux nationalistes, de nombreux chefs dâopinion incitaient à refuser de participer au recensement des ressources humaines. Même les publications libérales respectables, en fustigeant la façon maladroite des conservateurs de mener le recrutement, finissaient par encourager la désobéissance civile.
Au moment de la messe dominicale du 7 janvier 1917, les paroissiens canadiens-français comprirent que Robert Borden jouissait maintenant dâun allié de taille. Le cardinal Louis-Nazaire Bégin, âgé et perclus de rhumatisme, monta péniblement en chaire. Dâun ton mieux adapté à une oraison funèbre, il commença :
â Mes très chers frères, mes très chères sÅurs, je vais vous lire une lettre pastorale de M gr Paul Bruchési, archevêque de Montréal.
Le souci de préciser lâidentité de lâauteur du document laissait soupçonner le désir du prélat de sâen dissocier. Il déplia un morceau de papier et lut :
« Pour des raisons sérieuses et très sages, approuvées par des hommes éminents indépendants de tous les partis, le gouvernement désire faire en quelque sorte lâinventaire de toutes les forces et de toutes les ressources dont notre pays peut disposer au point de vue commercial, agricole et industriel. Les renseignements quâil sollicite seront précieux durant la guerre. Ils le seront également après.
« à cette fin, un certain nombre de questions seront posées à tous les citoyens âgés de seize à soixante-cinq ans. Il est de haute convenance que nous y répondions. Les réponses, venues de nos campagnes comme de nos villes, feront certainement voir dans notre province de Québec des conditions familiales et sociales, un état de choses tout en son honneur. Ces réponses, vous les écrirez, mes très chers frères, en toute liberté, sincèrement et loyalement⦠Il ne sâagit pas de politique. Il ne sâagit pas non plus de conscriptionâ¦
« Faisons Åuvre de patriotisme éclairé, et conformément à lâenseignement et à la tradition de lâÃglise catholique, montrons une respectueuse déférence envers lâautorité civile, agissant selon ses droits. »
Un marmonnement parcourut lâassemblée de fidèles. Dans un autre lieu, un étudiant séduit par les écrits nationalistes se serait sans doute mis à scander : « à bas la conscription! » Cependant, même les plus militants comprenaient que la basilique se prêtait mal à ce genre de débordement. Tout de même, au moment où lâecclésiastique rangeait le document, les pas de quelques fidèles se firent entendre, suivis par le bruit des grandes portes ouvertes, puis refermées sans ménagement.
Dans son banc, Thomas Picard serra les dents et posa la main sur lâavant-bras de son fils en soufflant :
â Ne bouge
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