Le prix du sang
Après un long aparté sur le devoir de tous les Canadiens de se porter au secours des soldats déjà au front et de demeurer fidèles aux idéaux des héros tombés au champ dâhonneur, lâobjectif résonna enfin.
â Le nombre dâhommes requis ne sera pas moins de cinquante mille, et plus probablement de cent mille.
Le premier ministre comptait donc ajouter vingt pour cent au contingent. Au moment où il retrouva son fauteuil, tous ses collègues se levèrent pour lui faire une véritable ovation. Wilfrid Laurier se prépara à lui répondre, suscitant de son côté des applaudissements respectueux.
â Mon très honorable ami a terminé ses observations en disant que nous sommes encore très éloignés de la fin du conflit. Je crains que ses paroles ne soient que trop vraies. Les événements qui se sont déroulés en Russie constituent une phase nouvelle de la guerre sur laquelle nous nâavions pas tablé.
Lâenthousiasme des conservateurs, sur le parquet ou dans les gradins improvisés le long des murs, se fit plus discret. Lâentrée des Ãtats-Unis dans le conflit sâavérait trop récente pour changer quoi que ce soit au front occidental. Comme la Russie se retirait du côté de lâest, lâAllemagne pouvait au bas mot ramener un million de soldats du côté de la France et de la Belgique. Les Alliés auraient du mal à maintenir la ligne de défense.
Tous attendaient toutefois sa réponse à la proposition de conscription. Ils seraient déçus :
â Quant aux méthodes que le Canada devra employer relativement à la poursuite de la guerre, je nâai quâà dire ceci, que le Canada entend participer à la guerre jusquâà la fin, jusquâà ce que la victoire ait été obtenue. Concernant les moyens que nous devrons adopter dans le but de diriger nos soldats vers le front et de remplir jusquâà la fin le devoir que nous sommes tous déterminés à accomplir, beaucoup de considération sera requise avant que la politique traditionnelle suivie par ce pays soit mise au rancart. Je ne fais aucune observation à cette heure.
Les impérialistes grommelèrent. Thomas sâamusa de leur déconvenue. Des paroles semblables pouvaient satisfaire tout le registre des opinions canadiennes. Le politicien termina par une déclaration de loyauté.
â La seule chose que je dis, et à laquelle jâengage la parole et le jugement de mes collègues, câest que nous nâavons dâautre intention que celle de demeurer dans la guerre jusquâà la fin et que nous sommes résolus à accomplir notre devoir au meilleur de notre jugement, de façon à assurer que les meilleures méthodes soient adoptées pour atteindre cette victoire à laquelle nous aspirons tous et que nous souhaitons tous comme une certitude.
Au moment où le vieil homme reprit sa place, chacun se sentit obligé dâapplaudir. Comment siffler après une invitation à tout faire pour la victoire⦠Mais tous devinaient, sans pouvoir lâen accuser encore ouvertement, que la conscription lui répugnait.
Thomas quitta le vieux musée Victoria avec le sourire, certain de conserver le comté de Québec-Est au vieux chef.
* * *
Comme les voyages, les événements politiques dramatiques entraînaient lâacceptation de compagnons de lit étranges. Armand Lavergne nâeut pas à aller bien loin pour trouver une salle discrète, le Château Frontenac abritait plus que sa part de conspirateurs. Les invités arrivaient en douce lâun après lâautre, pour se voir diriger au bon endroit par Ãdouard Picard, convertit en cicérone pour lâoccasion.
à huit heures, le président et le vice-président de la Jeunesse libérale, Oscar Drouin et Léon Casgrain, encadraient lâun des rares espoirs francophones du Parti conservateur, Charles Dorion. Dâautres, comme lâarchitecte Wilfrid Lacroix, se trouvaient déjà dans la mouvance libérale et deviendraient un jour député fédéral pour ce parti. Le plus expérimenté du groupe, excepté Lavergne bien sûr, était lâéchevin Eugène Dussault. Toutes ces personnes flirtaient toutefois avec le mouvement nationaliste.
Ces politiciens sâinterpellaient joyeusement
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