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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Si j’avais vingt ans de moins, nous serions condamnés à la victoire.
    Le vieil homme arborait un sourire chargé d’ironie.
    * * *
    La patinoire Martineau se trouvait dans la rue Dorchester, dans le quartier Saint-Roch. Le vieil édifice de brique et de planche ne payait pas de mine. À la façon dont Thomas le prévoyait un peu plus tôt dans la journée, des hommes et quelques femmes se pressaient les uns contre les autres dans la grande bâtisse. Des spectateurs se répandaient aussi sur les trottoirs, enthousiastes à l’égard de discours dont ils ne percevraient, au mieux, que des bribes par les portes laissées grandes ouvertes.
    Le grand rectangle couvert de madriers ne portait pas encore de glace. La température dans cet espace mal aéré grimpa très vite. Sous le tableau indicateur, où on montrait habituellement sur des tableaux noirs le pointage inscrit à la craie lors des joutes de hockey, on avait dressé une estrade sommaire.
    Lomer Gouin commença par évoquer les désordres récents survenus dans la ville et la situation explosive créée par les tribunaux d’exception, ouverts depuis la veille. Ernest Lapointe s’approcha à son tour, puis insista sur les nombreuses erreurs commises par les responsables du recrutement.
    â€” Le recensement des personnes par le Service national a été bâclé. Des morts ont reçu l’ordre de se présenter devant les médecins militaires. Même des jeunes filles… Des hommes mariés, totalement exclus de la conscription, ont eu le même genre d’invitation.
    Les plus jeunes des spectateurs avaient leurs papiers en poche. La rumeur publique évoquait la mansuétude des tribunaux. Cela ne suffisait pourtant pas à rassurer tout le monde. Les erreurs énumérées venaient augmenter leurs inquiétudes.
    La longue litanie indignée se termina sur ces mots :
    â€” Maintenant, notre chef, le premier ministre Wilfrid Laurier, va vous adresser la parole.
    Six ans après la défaite, le titre convenait encore au personnage. Il quitta son siège, s’avança au bord de l’estrade en tenant son haut-de-forme sous son bras, filiforme dans sa redingote noire, ses cheveux blancs balayant la base de son cou.
    â€” Vous avez entendu tous ces exemples de l’incompétence du gouvernement Borden. Administré de façon efficace, le recrutement volontaire suffirait amplement à combler nos besoins militaires. La conscription est incompatible avec les valeurs anglaises…
    L’assistance laissa éclater les applaudissements. Le fait que le Royaume-Uni se soit résigné à adopter une mesure du même genre, en dépit d’une solide tradition de volontariat, ne troublait guère les bonnes gens de Québec.
    â€” Je veux gagner cette guerre, nous voulons tous gagner cette guerre. Cependant, l’enrôlement volontaire demeure le meilleur moyen pour y parvenir. Le premier ministre Borden mesure-t-il combien sa loi vient perturber l’effort de guerre? Les Alliés comptent sur nous pour obtenir de la nourriture. Des avions, des sous-marins, des croiseurs sortent de nos ateliers. Les cartouches, les obus viennent de nos usines par millions, toutes les semaines. Que se passera-t-il si l’on conscrit nos meilleurs ouvriers?
    Thomas, debout lui aussi sur l’estrade, éprouvait une étrange nostalgie. Le grand homme trouvait encore les mots, les formules pour émouvoir les siens. Des milliers de personnes buvaient ses paroles. Toutefois, la voix portait moins bien, la silhouette semblait s’incliner un peu vers l’avant, le geste perdait de son ampleur. Il se dégageait une impression troublante, celle du crépuscule d’un politicien d’exception, mais aussi d’une époque brillante.
    â€” Il n’y a qu’une seule façon d’éviter les désordres sociaux, la rupture de nos liens harmonieux avec les autres populations qui habitent notre grand pays. Reportez les libéraux au pouvoir!
    Les applaudissements reprirent avec une vigueur nouvelle au moment où le grand homme regagnait son siège. Le maire, Henri-Edgar Lavigueur, s’avança alors pour inviter toutes les personnes à conserver la paix, malgré les heures dramatiques qui s’abattaient sur la ville.
    * * *
    Ã€ quelques centaines de verges de la patinoire Martineau,

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