Le prix du sang
dâun pas vif en direction de lâhôtel de ville. Il gravit lâescalier donnant accès à lâentrée principale au pas de course et sâempressa de gagner la salle du conseil.
* * *
La rumeur dâune action dâéclat amenait une petite foule sur les lieux. Les banquettes des spectateurs débordaient déjà dâoccupants. Des hommes, plusieurs très jeunes, se tenaient debout tout autour de la grande salle. Thomas sâappuya au mur, les bras croisés sur la poitrine. Lâéchevin Eugène Dussault, le président de la Ligue anticonscriptionniste, se leva bientôt. Lâexcitation atteignait son comble.
â Chers collègues, commença le politicien, je compte déposer prochainement une pétition à lâAssemblée législative demandant la formation dâune nouvelle confédération réunissant le Québec et les provinces de la côte Atlantique.
La suggestion sâavérait intéressante : ces provinces avaient voté à plus de quarante-cinq pour cent en faveur des libéraux quatre jours plus tôt. Elles se montraient plutôt réfractaires à la conscription. Lâéchevin proposait de rompre le Canada en deux pour donner naissance à de nouvelles entités. Celle de lâest poursuivrait une politique isolationniste, celle de lâouest sâengagerait dans la guerre.
â Dans ces circonstances dramatiques, je propose lâadoption dâune motion du conseil municipal appuyant notre démarche. Je vais vous faire la lecture de celle-ci :
Le conseil municipal de Québec soumet au Conseil législatif et à la législature la requête suivante :
Quâen maintes occasions, contrairement aux principes fondamentaux de lâActe de lâAmérique du Nord de 1867 proclamant lâégalité des races dans la Confédération canadienne, les droits de la race canadienne-française, partie contractante au pacte fédératif de 1867, ont été violés impunément et injustement, et quâune tendance devenant de plus en plus évidente se développe de jour en jour avec lâintention dâécraser la minorité canadienne-française, principalement concentrée dans la province de Québec.
Pour cette raison, le soussigné conseil municipal de Québec, au nom du peuple dont il croit à présent exprimer les sentiments, prie humblement votre Conseil et votre législature dâétudier cette position faite à la minorité canadienne-française et de considérer attentivement si la vraie solution du problème, toutes autres faisant défaut, ne serait pas de former une nouvelle confédération entre la province de Québec et les Provinces maritimes.
Et votre humble pétitionnaire ne cessera de prier.
Signé : Le conseil municipal de Québec
Thomas laissa échapper un soupir dépité : alors que la situation devenait explosive, la Ligue soufflait le chaud. Dans la salle du conseil, une partie de lâassistance fit entendre un tonnerre dâapplaudissements, des « Hourra! » fusèrent ici et là . Lâéchevin Fiset se leva à son tour pour affirmer :
â Au moment où, tous les soirs, des manifestants parcourent les rues en vociférant, au moment où des pierres pleuvent dans les fenêtres des édifices publics, cette motion révèle une totale irresponsabilité politique.
Une rumeur empreinte de colère sâéleva dans lâassistance. Le maire Lavigueur sâextirpa de son fauteuil de fonction, frappa de son maillet la table devant lui afin de ramener le calme, puis prononça :
â Notre ami Fiset a raison. Ce genre de proposition, au coin du feu, procurerait un sujet de conversation plaisant. Dans les circonstances actuelles, cette initiative risque de nous plonger dans une situation plus dramatique encore. Monsieur Dussault, je vous demande de retirer cette motion. Il nâen résultera rien de bon.
Encore une fois, une majorité des hommes présents exprima sa colère par des gestes, des murmures dâimpatience. Le président de la Ligue anticonscriptionniste se leva à nouveau pour déclarer :
â Nos voisins de langue anglaise nous ont imposé la dictature de leur majorité. Nous ne voulions pas nous engager dans cette guerre, ils veulent sây jeter corps et âme.
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