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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Nous ne voulions pas de la conscription, nous l’avons exprimé clairement en appuyant massivement Wilfred Laurier. Ils ont voté unioniste, une autre façon de dire conscriptionniste. De la rivière des Outaouais jusqu’à l’océan Pacifique, les Anglais ont accordé soixante-dix pour cent de leur suffrage à Borden. Nous n’avons plus rien en commun avec ces gens, mieux vaut une séparation amicale.
    Dans une province où les curés soulignaient sans désemparer l’indissolubilité du mariage, pareille expression ne ferait pas long feu. L’échevin Fiset intervint.
    â€” Qu’il persiste alors, déclara-t-il en tournant ostensiblement le dos à son collègue, il portera la responsabilité de cette affaire comme celle des autres dont il est l’auteur.
    Les manifestations des derniers jours, conclut Thomas, ne tenaient pas qu’à la colère spontanée des jeunes gens menacés par le recrutement obligatoire. Cela d’autant plus que l’immense majorité d’entre eux portait, soigneusement pliée au fond de leur poche, les formulaires d’exemption. Des personnes inspiraient leur action.
    * * *
    Le lendemain, 22 décembre, le magasin PICARD recevait des hordes de clients désireux de compléter leurs achats de Noël. Dans les circonstances, les vendeuses rentreraient tard à la maison, car des travailleurs nombreux passeraient après la fermeture des ateliers et des manufactures.
    Un peu après sept heures, Édouard vint frapper à la porte du propriétaire pour demander :
    â€” Me permets-tu de partir tout de suite? J’aimerais voir quelqu’un.
    â€” Les clients se bousculent dans tous les rayons. Celui des vêtements féminins ne fait certainement pas exception.
    â€” Deux ou trois vendeuses savent se servir de la caisse, ma présence n’est pas nécessaire. Je voudrais vraiment aller à ce rendez-vous.
    Thomas quitta son fauteuil derrière le bureau et s’approcha de son fils en disant :
    â€” Tu devrais prendre tes distances avec la Ligue anticonscriptionniste. Toute cette agitation se terminera mal.
    â€” Je ne peux pas me dérober… Enfin, pas brutalement, car ce sont des amis.
    â€” Je comprends. Tout de même, avec cette frénésie, éloigne-toi de ces fauteurs de trouble… Bon, sauve-toi avant que je change d’idée.
    Ã‰douard préférait laisser son père croire à la tenue d’une réunion de la Ligue tellement son projet le laissait un peu honteux. Quelques minutes plus tard, engoncé dans son paletot, son melon bien bas sur le front, il marchait rapidement rue Saint-Joseph. Il bifurqua dans Saint-Anselme et frappa bientôt à la porte du petit appartement.
    â€” Tu… Qu’est-ce que tu fais ici?
    Clémentine offrait un visage étonné… et toujours séduisant. Édouard apprécia la couronne des cheveux blonds et bouclés, toujours portés courts, les yeux bleus, les lèvres comme des cerises. Il lui fallut un instant avant de retrouver sa contenance. En sortant une petite boîte de la poche de son manteau, il murmura :
    â€” Je ne voudrais pas voir passer Noël sans t’offrir un petit présent.
    Elle accepta l’écrin, trouva une montre-bracelet à l’intérieur. Le jeune homme ne faisait pas preuve d’une bien grande originalité. Un an plus tôt, il avait donné la même chose à Évelyne. Évidemment, sa compagne de la Grande Allée avait eu droit à un produit de meilleure qualité. Une maîtresse de la Basse-Ville ne valait pas le même investissement qu’une fiancée de la Haute-Ville.
    â€” Tu n’aurais pas dû… Mais c’est extrêmement gentil à toi.
    Sans réfléchir, elle se précipita dans ses bras, vive, mince et désirable, comme elle l’avait été au cours des trois dernières années. Édouard ne put s’empêcher, au moment d’y poser les mains, de comparer mentalement la taille fine à celle de son épouse. Les flancs tièdes, souples, le ramenaient plusieurs mois en arrière.
    Elle se recula juste un peu, puis prononça à voix basse :
    â€” Tu vas enlever ton paletot et rester un peu.
    â€” Oui, mais je ne pourrai pas m’attarder.
    Elle acquiesça de la tête. La petite case de sa vie où elle se trouvait

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