Le prix du sang
confinée lorsquâil était célibataire se réduisait maintenant plus encore.
* * *
La prédiction dâÃdouard se réalisa : pendant deux jours au moins, de la farine dans les cheveux, Ãlisabeth avait préparé des gâteaux et des tartes. Le jour de Noël, en plus des enfants de la maison, les deux couples de beaux-parents se joignirent aux Picard. Cela donnait dix personnes, les enfants dâEugénie étant demeurés sous la surveillance de Jeanne.
Thomas occupait un bout de la table, sa femme, lâautre. Après quelques mots sur la rigueur de la température, lâhomme rompit toutes ses promesses à son épouse en demandant :
â Maître Paquet, ou maîtres Dupire, car je me trouve ce soir devant trois spécialistes du droit, je sais déjà combien il est difficile de défaire un mariage dans notre province. Défaire une fédération se révélera encore plus difficile, je suppose⦠si lâon en vient là .
Les deux notaires et lâavocat se consultèrent du regard. Le dernier risqua :
â Rien nâest prévu dans la loi de 1867 au sujet du retrait dâune province. Je présume quâil faudra lâunanimité de toutes celles-ci.
â Ce qui serait tout à fait impossible à obtenir, intervient le vieux Dupire.
â Pourtant, déclara Ãdouard, les Anglais seraient si bien sans nous. Nous sommes la cinquième roue du carrosse, ou la neuvième, dans ce cas précis. Les huit autres provinces auraient les coudées franches après notre retrait. De notre côté, nous pourrions vivre à notre guise, selon nos valeurs, nos traditions.
Ãlisabeth tendit la main afin de toucher le bras de son fils, puis sâenquit :
â Avez-vous, Ãvelyne et toi, pensé à des prénoms pour lâenfant à venir?
Du regard, elle englobait sa bru dans sa question.
â Comme ce sera lâaîné du fils de la maison, nous nous en tiendrons à la tradition. Thomas, dans le cas dâun garçon, Irène, comme sa grand-mère maternelle, si câest une fille.
â Au prochain, compléta la parturiente, ce sera le prénom de mon père, ou le vôtre.
Thomas oublia pendant un moment lâéventuelle rupture de la fédération pour jeter un regard sur sa fille Eugénie, craignant de lâentendre prononcer : « Pour vraiment obéir aux usages, si le deuxième enfant est une fille, elle devrait sâappeler Alice. » Oserait-elle évoquer la morte en ce souper de Noël? De façon fort raisonnable, celle-ci rappela plutôt :
â De notre côté, nous avons choisi des prénoms plus modernes.
â Mon mari sâappelle Hægédius, précisa madame Dupire. Infliger cela au petit Antoine aurait paru cruel.
â Et pour conjurer le mauvais sort, continua la jeune femme, Béatrice nous a semblé un prénom tout indiqué pour la dernière née.
Câétait là la première allusion, très indirecte, à sa mère depuis des années. Ãdouard fit valoir :
â Mais vous avez institué une nouvelle tradition. Le premier enfant a un nom commençant par un « A », le second par un « B ». Le prochain sâappellera Conrad⦠ou Corinne?
Un peu plus, et il aurait prononcé Clémentine. Ses yeux se posèrent un moment sur sa femme, puis il continua pour se donner une contenance :
â Avez-vous lâintention de couvrir tout lâalphabet, avec Zénoïde pour la dernière?
â Je ne crois pas, vraiment, répondit Fernand.
Depuis deux semaines, le gros notaire participait de nouveau aux félicités conjugales. Sans jamais avoir consenti à ce marché, il devinait que le prochain accouchement signifierait son exil dans une autre chambre.
* * *
Paul avait découvert une nouvelle dimension du caractère de Marie. Deux semaines plus tôt, il avait évoqué lâidée dâamener Françoise à Rivière-du-Loup pendant les quatre semaines de relâche de lâAssemblée législative, avant dâajouter : « Bien sûr, ta fille et toi, vous viendrez passer Noël et le jour de lâAn avec nous. »
Prononcée doucement, la réponse ne tolérait pourtant pas la moindre contestation : « Impossible, en cette période de
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