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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Belgique. Dans combien de temps? Un mois? Deux mois?
    Pendant quelques minutes encore, le politicien évoqua les diverses clauses du projet de loi britannique. Les auditeurs en venaient à oublier qu’il concernait un pays lointain. Chacun imaginait le jour où ce serait son tour.
    â€” Et en attendant cet instant fatidique, quel triste spectacle se déroule sous vos yeux! Depuis des semaines, tous les politiciens fédéraux se promènent à travers la province afin de vous inviter à contribuer aux emprunts de la Victoire. Tout cet argent va au Royaume-Uni alors qu’il serait tellement utile à nos frères de l’Ontario. Des enfants, là-bas, sont privés d’un enseignement dans la langue de leurs ancêtres, les premiers occupants de ce pays. Pendant ce temps, nous devons financer l’effort de guerre de l’Empire. Ne donnez pas un sous, gardez votre argent pour soutenir les Canadiens français maltraités dans tout le pays.
    Le Règlement 17, adopté dans la province voisine quelques années plus tôt, continuait d’agiter les passions. Des femmes armées de longues aiguilles à chapeau défendaient les écoles catholiques contre les officiels dépêchés pour y faire cesser l’enseignement en français. De jeunes institutrices de dix-huit ans acceptaient de travailler sans recevoir aucun salaire. Ces événements héroïques, sans cesse repris dans les journaux du Québec, justifiaient toutes les résistances à la participation au conflit.
    â€” Pourquoi devrions-nous payer pour la défense de l’Angleterre? Pourquoi aller mourir pour ce pays étranger? Les soldats de cette contrée sont-ils venus nous aider dans le passé? Les affirmations en ce sens tiennent de la chimère. Les États-Unis sont les seuls maîtres de ce continent. Le Royaume-Uni ne compte plus pour rien. Nous ne lui devons rien. Aujourd’hui, les impérialistes, les mêmes qui ferment nos écoles, veulent enrôler nos enfants. Si un jour le Canada est menacé par un ennemi, je serai le premier à revêtir l’uniforme et à réclamer la conscription. Mais je ne tolérerai jamais cette mesure pour une guerre européenne dans laquelle nous n’avons rien à voir.
    Les applaudissements reprirent, passionnés, suivis des cris « À bas la conscription! » Tous ces arguments, chacun les connaissait. Le député avait prononcé les mêmes à l’Assemblée législative, environ une semaine plus tôt. En réalité, cette foule attendait la phrase fatidique, le défi lancé aux autorités. Une affirmation susceptible, dans la plupart des pays participant à la Grande Guerre, de mériter une accusation de haute trahison à son auteur. La prononcer en Chambre ne portait pas à conséquence, à cause de l’immunité parlementaire. En allait-il de même sur une place de marché?
    Lavergne ne décevrait pas cette attente :
    â€” Que vive le Canada et que périsse l’Angleterre!
    Les cris devinrent frénétiques. De son siège dans les gradins, Édouard distingua dans la pénombre de la fin de l’après-midi les silhouettes d’officiers de police prenant position sur le trottoir de la rue Saint-Jean, le long des murs de l’Auditorium de Québec et du YMCA. Comme si le scénario avait été répété à l’avance, une éventualité bien probable, quelqu’un dans la foule cria :
    â€” Tu préférerais que les Allemands s’emparent du Canada?
    â€” Crois-tu que ce serait pire que de vivre sous la botte des Anglais? Comme disait ma grand-mère, se faire mordre par un chien ou par une chienne, c’est pareil!
    Les cris atteignirent leur apogée. Au même moment, les policiers sortirent de la pénombre pour se trouver dans le halo des réverbères. Un officier hurla dans son porte-voix :
    â€” Dispersez-vous! Rentrez à la maison tout le monde! De toute façon, vos femmes ou vos mères vous attendent pour souper.
    Armand Lavergne tourna les yeux vers le mur d’enceinte de la ville, à quelques dizaines de pieds sur sa droite. La silhouette d’un uniforme se dressait comme une ombre noire sur le rideau du ciel obscur. Il remarqua un mouvement dans la foule; des hommes s’en détachaient pour s’éloigner dans les rues

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