Le prix du sang
respectifâ¦
Gertrude laissa échapper un rire bref, puis commenta :
â à leur sujet, je pourrais vous en raconter de belles⦠Je suppose que les enfants ont pris le meilleur de leurs deux parents et oublié le mauvais.
Cela, Marie le souhaitait de tout cÅur.
* * *
Au milieu de sa onzième année de scolarité, Thalie sâavérait déjà très instruite, en comparaison des attentes de 1916. Pour une femme, aux yeux de la plupart de ses contemporains, elle lâétait beaucoup trop, en fait. Bien sûr, les sensibilités des protestants différaient un peu. Puis, les seuls membres de cette communauté figurant parmi ses familiers fréquentaient aussi le Quebec High School. Elle en arrivait à trouver normal ce qui paraissait suspect à la plupart des autres.
Le vendredi 4 février, elle arriva de son pas rapide au grand édifice de brique de la rue Saint-Augustin et gravit les marches glacées au même rythme. Dans le hall aux murs beiges, un peu poussiéreux, elle entendit bien le babil de ses camarades, un peu plus haut perché que dâhabitude, sans connaître le motif de cette excitation. Les murs des espaces communs de lâédifice sâornaient dâaffiches de recrutement. Quelques élèves de lâécole avaient déjà joint le détachement dâinfirmières, ces « sÅurs » dévouées qui prenaient soin des blessés dans les hôpitaux de campagne. Les invitations bien senties à participer aux emprunts de la Victoire utilisaient les arguments les plus surprenants. Lâune des publicités les plus en vogue, juste avant Noël, recommandait aux petites filles de demander cela comme étrennes.
à la place dâhonneur du hall, un grand panneau dominé par les mots To Our Heroes affichait les portraits des volontaires apparentés aux élèves et aux enseignantes de lâétablissement, posant fièrement dans des uniformes tout neufs. La photographie dâune bonne demi-douzaine dâentre eux, dont celle de lâépoux de Mrs. Ann Thompson, lâinstitutrice de Thalie à lâautomne 1914, sâornait dâun petit ruban noir en signe de deuil. Lâadolescente constata quâaucune décoration de ce genre ne sâétait ajoutée pendant la nuit. La tension palpable ne tenait donc pas à cela.
Dans ce milieu, la guerre européenne ne se trouvait ni lointaine ni étrangère. Il ne se passait pas une journée sans quâune élève ne verse des larmes pour un parent décédé ou, le plus souvent, pour un parent pour lequel on craignait le pire. Au moment où la jeune fille se dirigeait vers sa classe, sa voisine de pupitre lui emboîta le pas pour sâenquérir, un peu nerveusement :
â Thalia, as-tu lu les journaux, ce matin?
â Non. Avec le contrôle des connaissances si proche, je passe tout mon temps à mémoriser les mésaventures des Tudor.
Si les héros de la Nouvelle-France et ceux de la Rome antique formaient un curieux amalgame dans lâimaginaire de Mathieu, la jeune fille meublait le sien des avatars de la vie des diverses dynasties sâétant succédé sur le trône dâAngleterre. En comparaison, les mÅurs de Québec lui paraissaient dâune troublante harmonie.
â Le parlement dâOttawa a été incendié cette nuit, clama la grande rousse sur le ton de la conspiration.
â Tu⦠tu veux dire que quelquâun a mis le feu?
â Mon père a reçu un coup de fil dâun collègue de Montréal avant même le lever du soleil. Il a évoqué des espions allemands ou autrichiens. Tu savais que la femme du gouverneur général est une princesse allemande, une Hohenzollern? Le coupable ne se trouve peut-être pas bien loinâ¦
Les histoires à propos dâune cinquième colonne composée dâimmigrants venus des pays ennemis et toujours dévoués à leur contrée dâorigine alimentaient de grandes méfiances. Les camps de concentration où des centaines, plutôt des milliers dâentre eux, attendaient la fin du conflit en témoignaient éloquemment.
â Il y a eu des morts dans les flammes, continuait son interlocutrice. Le feu sâest répandu trop vite pour que ce soit un accident.
Thalie se réjouit de ne pas lâentendre évoquer une
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