Le prix du secret
confesseur d’Hélène.
J’avais prétexté sa présence pour coucher au Cheval d’or, mais, après cette nuit mouvementée, je l’avais complètement oublié. Je me levai brusquement.
— Dr Wilkins !
— Ainsi, vous vous souvenez de moi. Que faites-vous ici ?
Il s’exprimait en anglais, sa langue natale. Il avait jadis été chargé d’une paroisse dans le Sussex, non loin de mon ancien foyer. C’étaient des gens du Sussex, ce père et cette jeune fille qu’il avait envoyés au bûcher.
Ils étaient morts ensemble. Quelle horreur de savoir, pour un père, dans son agonie, qu’un enfant aimé partage le même tourment ! Si je devais mourir de la sorte, cela doublerait ma douleur de savoir que Meg subissait aussi cette torture, et la sienne serait accrue par la mienne. Wilkins voulait me parler, mais, moi, je n’en avais pas la moindre envie. J’étais forcée de répondre, toutefois je me montrai succincte.
— J’accompagne Hélène Blanchard, que son tuteur emmène en Angleterre.
— Oui, la pauvre enfant ! Elle est venue me demander ma bénédiction, ainsi que tous les conseils et le réconfort que je pourrais lui prodiguer, avant qu’elle ne s’exile dans un pays hérétique.
Son ton était presque ému, mais ses paroles franchissaient une bouche inflexible, aux commissures incurvées vers le bas. Il provoquait en moi une peur instinctive que je dissimulais.
— Votre pays, Dr Wilkins, rappelai-je.
— Plus maintenant. Pas avant qu’il ne revienne à la vraie foi. J’ai eu vent des événements de la nuit dernière, à l’auberge. Vos hommes ne cachent pas leur regret que leur gibier, votre époux, leur ait filé entre les doigts. Ils semblent oublier qu’ils se trouvent dans une abbaye ! Quant à moi, je me réjouis que le seigneur de la Roche ait une fois de plus échappé à vos rets. Vous prétendez être ici pour servir de compagne à Hélène Blanchard. Est-ce bien vrai ? Je ne le pense pas. Elle n’est pas belle, madame, l’épouse qui trahit son mari et qui guide les émissaires d’un pays étranger afin de le capturer.
Cette attaque me prit au dépourvu. J’étais trop surprise pour riposter. Peu importait, au fond, car la voix épaisse de Wilkins continuait à résonner.
— Une femme devrait être soumise à son mari, le suivre où qu’il aille, se ranger à ses avis et s’abstenir de frayer avec ses ennemis. Mais vous ! Vous, madame ! Vous l’avez trahi trois fois.
— L’an passé, objectai-je, recouvrant mon sang-froid, je lui ai sauvé la vie, et à vous du même coup. J’ai gardé la porte barrée pendant que vous fuyiez par la fenêtre !
Ma voix retentit dans l’immensité de l’église. Wilkins me réprimanda :
— N’élevez pas votre voix suraiguë dans la maison du Seigneur. Les femmes doivent se taire, à l’église.
— Je ne me tairai pas alors qu’on profère des accusations injustes contre moi, dans une église ou ailleurs !
— Injustes ? Oh, non, je ne le crois pas ! Vous avez refusé de venir avec nous. Vous avez choisi entre votre époux et votre fausse religion, et préféré la seconde. Je l’ai exhorté à se méfier de vous. Regardez, maintenant, comme j’avais raison !
— Vous aviez tort ! s’insurgea Dale, prenant ma défense bec et ongles, tel un coq de combat. Ma maîtresse ignorait qu’on la suivrait jusqu’à l’auberge ! Elle est venue pour servir de chaperon à la demoiselle Hélène, c’est alors que son époux lui a écrit. Elle est donc allée le voir. Comment osez-vous l’accuser de l’avoir trahi ?
— Tout va bien, Dale.
Je ne voulais pas qu’elle s’attire les foudres de Wilkins. Je lui tapotai le bras en guise de remerciement avant de répliquer :
— M’avez-vous suivie ici à seule fin de proférer ces accusations contre moi ? Que voulez-vous ?
— Vous avertir de ne plus approcher Matthew de la Roche à l’avenir. Toute femme est un piège pour l’homme.
Il posa un instant son regard sur Dale, notant son existence. Puis ses yeux hostiles se tournèrent à nouveau vers moi.
— Mais vous, vous représentez un piège particulier pour cet homme. C’est un noble défenseur de la Foi, l’un des fers de lance de la grande offensive divine que nous lancerons contre votre île et votre reine apostate. Matthew de la Roche ne doit pas être séduit par vos doux appas ni menacé par vos plans sournois. Car je ne doute pas que vous soyez venue en tant
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