Le retour

trente.
     
    Richard et Gilles
se levèrent à leur tour. Ils avaient l'un et l'autre l'air endormi parce qu'ils
s'étaient couchés vers minuit la veille.
     
    - Vous avez l'air
à dormir debout, leur reprocha leur mère.
     
    - C'est pas
nécessaire d'être ben réveillé pour laver des chars toute la journée, répliqua
Richard en s'assoyant à table.
     
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    - Moi, je suis
mieux de pas avoir les deux yeux dans le même trou, dit Gilles que le patron de
Living Roôm Furniture avait gardé à son emploi le vendredi soir et le samedi
pour aider aux livraisons. Je suis pas comme toi, ajouta-t-il à l'endroit de
son jeune frère. J'ai besoin de cet argent-là. Toi, t'as ta paye de chez
Impérial Tobacco.
     
    - Je suis pas si
indépendant que ça, tu sauras, reprit Richard. J'ai besoin de tout l'argent que
je peux ramasser.
     
    - Qu'est-ce que
tu vas faire avec?
     
    - Tu verras ben,
répondit Richard avec un air mystérieux.
     
    Leur mère les
écoutait d'une oreille distraite, occupée à savourer sa première cigarette de
la journée en sirotant son café. Si elle avait été plus attentive, elle aurait
deviné que son Richard devait poursuivre un rêve. Il n'y avait qu'à voir de quelle
manière il économisait tout ce qu'il pouvait depuis qu'il avait commencé à
travailler chez son oncle Rosaire les fins de semaine...
     
    Aucun des Morin
n'aurait pu dire que Richard était avare. Non, loin de là. Mais il ne dépensait
pratiquement rien pour ses vêtements et ses cigarettes lui étaient fournies
gratuitement par son employeur. Il payait sa pension hebdomadaire et achetait
de temps à autre des " comics " usagés à la tabagie, voisine de la
buanderie de la rue Sainte-
    Catherine tenue
par deux Chinois. Là s'arrêtaient ses dépenses. Tout le reste était
religieusement déposé sur son compte, à la succursale de la Banque d'Épargne,
coin Dufresne et Sainte-Catherine. Lorsqu'il avait quitté l'école pour
travailler, il aurait pu laisser tomber son petit emploi du samedi au garage de
Rosaire Nadeau. L'idée ne lui en était jamais venue.
     
    Sans le dire à
personne, l'adolescent était demeuré fidèle à la promesse qu'il s'était faite
de réussir un jour quand il avait été invité avec les autres membres de sa
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    famille dans la
riche maison des Nadeau, boulevard Rosemont. Il n'était pas question qu'il
passe sa vie dans un taudis comme ses parents. Il allait gagner assez d'argent
pour vivre dans une maison décente meublée avec goût. Il allait avoir une
automobile et bien d'autres choses. Son frère Gilles enseignerait peut-être un
jour et aurait un salaire correct, mais lui, il voulait être riche. Il visait
plus haut et était prêt à tous les sacrifices pour y arriver.
     
    Gérard Morin
rentra à la maison au moment même où Denise se levait. Ses deux fils le
saluèrent avant de partir pour leur travail. Laurette déposa devant son mari
une tasse de café et un pain Weston pour qu'il puisse se faire des rôties.
     
    - Tiens, v'ià un
bon café, si t'as pas peur que ça t'empêche de dormir.
     
    - Pas de danger,
fit son mari en buvant une gorgée du liquide bouillant.
     
    - Comment s'est
passée ta nuit?
     
    * - Encore mieux
que la première, dit Gérard. Je me suis apporté un coussin pour être plus
confortable et je me suis préparé un petit lunch pour le milieu de la nuit. Ça
m'a aidé à garder les yeux ouverts. Le plus dur, c'est de rester réveillé après
trois heures du matin, mais je vais m'habituer. Et toi, as-tu lâché Viau?
     
    - C'est fait.
J'ai plus à y retourner, déclara Laurette sans manifester un grand
enthousiasme.
     
    Tous les deux
gardèrent le silence durant le reste du repas qu'ils prirent en compagnie d'une
Denise silencieuse.
     
    Quand cette
dernière disparut dans sa chambre pour se préparer à aller travailler, Gérard
demanda à mi-voix à sa femme:
     
    - Toujours pas de
nouvelles de son chum - Rien pantoute, chuchota-t-elle. C'est comme s'il était
mort.
     
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    - Bon. Je vais
dormir juste une couple d'heures, déclara Gérard en se levant, après avoir bu
une dernière gorgée de café. À soir, je rentre pas. C'est ma nuit de congé. Il
faut pas que je dorme trop pendant la journée sinon je pourrai pas fermer
l'oeil de la nuit.
     
    - Tu vas être
tranquille pour dormir, déclara sa femme.
     
    Il va y avoir
juste Carole dans la maison et elle fera pas de bruit. Je vais attendre à lundi
pour faire le lavage. Aujourd'hui, j'ai du