Le retour
magasinage à faire.
Gérard ne fit
aucun commentaire et disparut dans sa chambre à coucher. Laurette occupa les
heures suivantes à préparer les repas de la fin de semaine. Elle ne regrettait
pas d'avoir fait l'effort d'aller acheter l'épicerie de la semaine, la veille,
après le souper. Comme chaque semaine, elle était d'abord passée chez Dugas
avant d'aller acheter quelques légumes chez Laurencelle et un sac de biscuits
chez Oscar. Elle avait même eu la surprise de tomber sur Rose Beaulieu à sa
sortie de la biscuiterie.
Sa voisine
n'avait pas eu l'air de lui avoir tenu rigueur de son algarade avec son mari,
survenue le mois précédent.
- Qu'est-ce que
vous voulez, madame Morin? lui avait dit la voisine. Mon Vital est pas un
méchant homme, mais il aime boire un coup. Quand il a bu, il devient mauvais
sans bon sens. J'aime mieux quand il travaille ses quinze jours de nuit,
avait-elle ajouté. Les tavernes sont fermées à sept heures le matin. Lorsqu'il
travaille de jour, c'est une autre paire de manches.
- Je veux pas me
mêler de ce qui me regarde pas, avait repris Laurette, mais vous devriez
peut-être pas vous laisser brasser comme il le fait, madame chose.
Rose Beaulieu
s'était contentée de hocher la tête.
- Vous, comme
moi, on est de taille à se défendre, avait ajouté Laurette. Vous connaissez les
hommes. Il faut pas les laisser ambitionner sur le pain béni.
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Puis, pour
détendre l'atmosphère, elle avait invité la grosse femme qui marchait à ses
côtés en cherchant son souffle.
- Vous m'avez dit
que votre mari aimait pas vous voir perdre votre temps avec les voisines. Quand
il travaille le soir, descendez donc piquer une jasette. Moi, je travaille plus
au-dehors et mon mari travaille la nuit.
Les deux femmes
s'étaient quittées d'excellente humeur devant leurs portes.
Ce samedi-là,
Laurette quitta l'appartement vers dix heures, après avoir donné quelques
directives à Carole pour la préparation du dîner de son père, s'il se levait à
temps.
- Je vais revenir
à la fin de l'après-midi, précisa-t-elle en posant sur sa tête son petit
chapeau bleu.
Pendant un bref
moment, elle s'examina dans le miroir suspendu au-dessus de l'évier, dans la
cuisine. Quelques nouveaux cheveux blancs avaient fait leur apparition sur ses
tempes.
- Maudit que je
fais dur! se dit-elle en tentant d'effacer les quelques rides visibles aux
coins de ses yeux. J'ai besoin de me faire friser. Il faut pas que j'oublie
d'acheter un Toni à la pharmacie. Denise pourrait me donner mon permanent à
soir, si elle a le temps.
Au dernier
instant, elle pensa à prendre ses lunettes à monture de corne et à les enfouir
dans son sac à main parce que, sans elles, elle était incapable de déchiffrer
le menu d'un restaurant.
Le but de cette
sortie n'était pas d'aller se balader dans les grands magasins de l'ouest de la
ville, comme elle l'avait fait si souvent par le passé. Non. Elle voulait
parler à Jean-
Louis qui n'avait
toujours pas donné signe de vie depuis
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son départ de la
maison, plus de deux mois auparavant.
Elle y songeait
depuis plusieurs semaines, mais ses samedis étaient toujours occupés par le
lavage, l'achat de la nourriture et le ménage de la maison. Pas moyen de se libérer
pour se rendre chez Dupuis frères pour savoir ce qu'il devenait.
Cet avant-midi,
elle allait enfin savoir ce qui se passait et la raison pour laquelle il
n'avait pas donné de ses nouvelles. S'il fallait le secouer devant tout le
monde, elle ne se gênerait pas pour le faire.
Elle avait
projeté aussi de célébrer dignement son quarante-quatrième anniversaire de
naissance en allant s'acheter une robe neuve et dîner dans son restaurant
préféré, près de chez Eaton. Elle allait avoir quarante-
quatre ans le
lendemain, 3 octobre, et elle ne serait pas étonnée que les siens aient oublié
son anniversaire, même si cela n'était jamais arrivé les années précédentes.
Il faisait si
doux que Laurette aurait pu se passer de son vieux manteau d'automne bleu. Elle
prit le tramway et descendit au coin de la rue Saint-André, devant le magasin
Dupuis frères où son fils travaillait depuis presque cinq ans. Durant tout le
trajet, la mère de famille s'était répété tout ce qu'elle voulait dire à ce
fils ingrat qu'elle avait tant couvé.
Elle poussa la
porte tournante et pénétra à l'intérieur du magasin, bien
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