Le retour
quittaient le 2318, Emmett, une petite brise un peu fraîche
faisait tourbillonner la poussière sur le trottoir sous un ciel uniformément
gris.
Les deux femmes
s'engagèrent sur la rue Archambault à peu près déserte à cette heure de la
matinée. Elles passèrent devant deux jeunes enfants mal débarbouillés assis sur
le pas d'une porte. Ils se chamaillaient pour la possession d'une bille de couleur.
En face, un laitier de la laiterie Saint-Alexandre escaladait un escalier,
tenant à bout de bras un panier métallique rempli de bouteilles de lait. Au
bout de la rue, la mère et la fille tournèrent à droite sur la petite rue
Grant, la parcoururent ainsi que les quelques pieds de la rue Dufresne qui les
séparaient de la rue Sainte-Catherine. Au moment où elles allaient traverser en
face de la pharmacie Charland, Laurette remarqua le silence inhabituel de sa
fille.
- Qu'est-ce que
t'as à matin, toi? lui demanda-t-elle, intriguée. T'as ben l'air bête.
- Je trouve la
vie plate, laissa tomber Denise, le visage fermé.
- Qu'est-ce qui
se passe?
- Il se passe que
je travaille six jours sur sept, que j'ai pas de chum et que là, j'ai plus
personne pour venir aux vues avec moi.
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La mère adressa à
sa fille un regard anxieux. Elle n'était pas sans savoir que Denise avait mis
plusieurs mois à se remettre de l'abandon de Serge Dubuc. Elle était follement
amoureuse du jeune employé de la Banque d'Épargne qui la fréquentait depuis
quelques mois quand Gérard était tombé malade. Malgré cela, le garçon lui avait
demandé un moment de réflexion, apeuré par la tuberculose dont souffrait le
père de son amie. Le jeune homme n'avait plus donné signe de vie. Contre toute
logique, Denise l'avait attendu durant des mois, refusant de croire que son
Serge ne l'aimait plus. Elle avait fini par se résigner, mais depuis, elle
avait sèchement repoussé les avances de quelques garçons du quartier, ne
souhaitant pas revivre une aussi amère expérience.
- Pourquoi tu dis
que t'as plus personne pour aller aux vues? demanda Laurette, peu désireuse de
la voir encore pleurer sur la trahison de son ex-amoureux. T'es-tu chicanée
avec Colette Grave!?
- Ben non, m'man.
Mais comme les Gravel déménagent, j'aurai plus personne pour venir aux vues
avec moi.
- Comment ça les
Gravel déménagent? fit Laurette, stupéfaite, en s'arrêtant brusquement de
marcher au milieu du trottoir.
- Vous le saviez
pas? Us déménagent dans quinze jours, m'man.
- Ah ben, j'en
reviens pas! s'exclama sa mère. Première nouvelle! Depuis quand tu sais ça,
toi?
- Depuis hier.
J'ai rencontré Colette sur l'heure du midi. Je voulais vous le dire hier soir,
mais avec l'histoire du bain, ça m'a complètement sorti de la tête.
- J'en reviens
pas, répéta sa mère en se remettant en marche. Aïe! Ça fait plus que vingt ans
qu'ils restent au-dessus de chez nous. Sais-tu qui s'en vient rester à leur
place?
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- Elle m'en a pas
parlé. Bon. Je vous laisse, m'man. Je suis rendue, ajouta Denise, en frappant à
la porte du magasin Woolworth que le gérant, Antoine Beaudry, vint ouvrir en
regardant ostensiblement sa montre.
Laurette, l'air
pensif, poursuivit son chemin jusqu'à l'épicerie Tougas dont elle poussa la porte.
Elle eut un sourire de contentement en constatant qu'elle était parmi les
premières clientes en ce samedi matin nuageux.
Elle fit son
épicerie en quelques minutes, n'oubliant pas de demander des os pour la soupe
au comptoir derrière lequel se tenait le boucher. Elle paya ses achats et,
avant de quitter le magasin, demanda qu'ils soient livrés le plus tôt possible.
Elle repassa
devant Woolworth et aperçut Denise occupée à servir une cliente. La mère de
famille poursuivit son chemin, traversa la rue Dufresne et entra chez
Laurencelle, le marchand de fruits et légumes du quartier.
Les prix étaient
si élevés qu'elle se contenta d'acheter quelques bananes avant de se diriger
vers la biscuiterie Oscar où elle acheta cette semaine-là trois livres de biscuits
Village parce qu'ils étaient les moins chers.
Au passage, elle
jeta un regard d'envie au téléviseur installé depuis peu dans la vitrine du
magasin d'ameublement Beaulieu. A cette heure du jour, l'appareil Admirai en
montre était malheureusement éteint.
Le soir du
Mercredi saint précédent, elle était venue se confesser à l'église
Saint-Vincent-de-Paul pour
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