Le retour
pas
l'habitude de me répéter, conclut-il en assénant une claque sonore sur le
dessus du comptoir derrière lequel s'était réfugié Beaudry.
Sur ce, il
s'approcha de Denise Morin en lui disant:
- Prenez votre
sacoche, mademoiselle, on s'en va. Je pense que ça sent moins mauvais dehors.
Pendant un bref
instant, la jeune vendeuse fut tentée de refuser de bouger du magasin. La
violence de son sauveteur lui faisait presque aussi peur que les assauts
lubriques de Beaudry. Puis, juste l'idée de demeurer aux côtés de son gérant
après son départ lui fit tellement horreur qu'elle
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prit son sac à
main déposé sur une tablette derrière le comptoir et quitta les lieux, suivie
de près par l'inconnu.
Lorsque la porte
du magasin se referma derrière eux, Denise se sentit suffisamment en sécurité
au milieu des passants pour s'arrêter sur le trottoir et faire face à celui qui
l'avait sortie des griffes d'Antoine Beaudry.
- Je vous
remercie. Vous êtes arrivé juste à temps.
D'habitude, il
est pas comme ça. Il a pas le choix, on est deux vendeuses. Je pense que je
vais me chercher pareil une autre job ailleurs, ajouta-t-elle, comme à regret.
Elle s'apprêtait
à le quitter pour rentrer chez elle quand il étendit le bras pour la retenir.
Denise ne put faire autrement que de remarquer à quel point son visage aux
traits accentués avait totalement changé depuis qu'ils étaient sortis du
magasin. Il n'y avait plus rien de menaçant en lui.
- Partez pas si
vite, mademoiselle, lui dit l'inconnu d'une voix dans laquelle elle décela une
nuance de supplication.
Je sais même pas
comment vous vous appelez.
- Denise, Denise
Morin.
- Moi, c'est
Pierre Crevier. J'ai remarqué tout à l'heure que vous portiez pas d'alliance.
Je suppose que vous êtes pas mariée.
- Non.
- Est-ce que vous
restez dans le coin?
- Oui.
- Moi aussi. Je
reste en chambre chez mon oncle, Eugène Fortier, au coin de Dufresne et De
Montigny. Je travaille au port. Écoutez. Il fait chaud et on n'est pas ben
confortables pour parler en plein milieu du trottoir. Venez prendre quelque
chose au restaurant avec moi. Je vous promets que je suis pas comme votre boss.
Je sais me tenir avec les femmes, ajouta-t-il avec un sourire charmeur. Vous
pouvez être certaine qu'il vous arrivera rien avec moi.
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- À la salle de
pool, à côté? demanda Denise, tentée.
- Non. Il y a
jamais de place pour s'asseoir et parler tranquillement. On peut marcher
jusqu'au restaurant au coin de Frontenac, non?
Denise hésita un
moment avant d'accepter la proposition.
Depuis que Serge
Dubuc l'avait laissée tomber, trois ans auparavant, elle n'avait pas remis les
pieds dans le restaurant où ils avaient l'habitude de venir boire une tasse de
café chaque matin, avant d'aller travailler.
- C'est correct,
mais pas longtemps, prit-elle la précaution de préciser. Je dois être revenue
pour six heures, sinon il va me couper du salaire.
- OK. On y va,
dit le jeune débardeur en se mettant en marche à ses côtés. Vous travaillez en
plus le soir?
- Juste le jeudi
et le vendredi, de six heures à neuf heures.
- Et vous
retournez chez vous à la noirceur toute seule?
- Non. J'ai
toujours un de mes frères qui vient m'attendre après l'ouvrage quand je finis
tard, expliqua Denise.
- Mes heures
d'ouvrage sur le port sont plus belles que les vôtres, dit Crevier. Je
travaille de six heures à trois heures, cinq jours par semaine. Quand je
travaille plus longtemps, je suis payé temps et demi. Je vous dis que ça fait
changement avec les chantiers où je travaillais.
- Vous êtes
chanceux.
- Oh! Ça a pas
toujours été comme ça.
Quand ils
arrivèrent devant le restaurant Rialto, Pierre Crevier poussa la porte pour la
laisser entrer devant lui. Ils se dirigèrent vers une banquette au fond du
restaurant, où une serveuse s'empressa de venir s'enquérir de ce qu'ils
désiraient manger.
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- C'est vrai que
c'est l'heure du souper, reconnut le jeune homme en s'emparant de l'un des
menus déposés sur la table devant lui. Je pense qu'on est mieux de manger sinon
le patron va nous dire d'aller nous asseoir au comptoir si on prend juste une
liqueur.
- C'est vendredi.
Je mange pas de viande. Je vais prendre juste une patate frite avec un Coke.
- Juste ça!
protesta Crevier. Voyons donc, c'est pas assez quand on travaille.
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