Le retour
l'autre en frappant le creux de sa main
gauche du bout de son bâton de baseball.
Tout le sang
s'était retiré du visage de Richard et, comme par hasard, les passants
continuaient à changer de trottoir en apercevant le trio.
- Je colle juste
des affiches, balbutia-t-il.
- Tu colles des
affiches! On dirait que t'as besoin de barniques, dit le premier individu,
sarcastique. Je sais pas si t'as remarqué, mais t'as collé tes affiches sur les
nôtres.
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- Ah oui? Je les
ai pas vues, mentit Richard, sur un ton peu convaincant.
- C'est ben ce
qu'on disait, reprit le même homme, t'as besoin de barniques.
- C'est ben de
valeur, reprit le tatoué sur un ton faussement apitoyé. Je sens qu'il va
falloir qu'on t'aide à voir plus clair. Qu'est-ce qu'on fait, Henri? On lui
casse un bras ou une jambe? demanda-t-il en se tournant vers son acolyte. Dans
un cas comme dans l'autre, il pourra plus rien coller pendant un bon bout de
temps. Ça va faire peur aux autres.
- Ouais, fît
l'autre, l'air mauvais, en repoussant son chapeau sur sa nuque.
Au même moment,
une auto-patrouille de la police de Montréal s'arrêta doucement le long du
trottoir, à faible distance de la scène. Richard vit que l'un des agents
s'intéressait à la scène sans toutefois esquisser le moindre geste laissant
croire qu'il s'apprêtait à intervenir. Le tatoué tourna la tête et fit un signe
de la main en direction du policier à l'instant même où Richard s'apprêtait à
l'appeler à son secours. L'agent salua l'homme de la main, sembla dire quelque
chose au chauffeur de l'auto-patrouille qui démarra doucement, laissant
l'adolescent seul, aux prises avec les deux inconnus.
- À ben y penser,
je pense qu'on lui cassera rien à soir, décida celui que le tatoué appelait
Henri. J'aime pas ben ça fesser sur les enfants. On va se contenter de lui
donner une petite leçon.
Sur ce, l'homme
agrippa le devant de la chemise de Richard et lui décocha rapidement trois ou
quatre gifles si retentissantes que la tête de l'adolescent résonna comme une
cloche. Le sang se mit à lui couler du nez.
- Nous autres, on
est pour la liberté, morveux, le prévint-il avec un sourire mauvais. On
t'empêche pas de
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mettre tes
maudites affiches, mais regarde ben où tu les cloues. Si jamais j'en revois une
qui touche à une des nôtres, je t'envoie à l'hôpital et ta mère va avoir ben de
la misère à te reconnaître. T'as compris?
Richard ne put
que hocher la tête.
- Parfait, reprit
l'autre. À cette heure, dégage! lui ordonna-t-il en lui administrant un
magistral coup de pied au derrière qui le projeta quelques pieds plus loin.
Les deux
fiers-à-bras remontèrent lentement à bord de leur Chevrolet pendant que
Richard, furieux et humilié, revenait sur ses pas pour ramasser ses affiches et
son marteau. Au moment où l'automobile démarrait, il ne put s'empêcher de leur
crier:
- Bande de chiens
sales!
Si les deux
inconnus s'imaginaient que Richard Morin allait rentrer chez lui pleurer dans
les jupes de sa mère, ils le connaissaient bien mal. Il se tamponna le nez et
essuya le sang qui coulait d'une éraflure faite à sa joue gauche, probablement
par la bague de la brute. Il reprit son travail, même s'il sentait son visage
enfler. Au coin de Sainte-
Catherine et De
Lorimier, il traversa sur le côté nord de l'artère et continua à apposer ses
affiches sur chaque poteau, en prenant toutefois bien soin de ne pas toucher
aux affiches de Charbonneau, le candidat unioniste.
Quand Meloche
revint l'approvisionner en affiches, l'organisateur remarqua son visage marqué,
mais il ne dit pas un mot. A neuf heures trente, Richard rejoignit Jutras et
tous les deux rentrèrent à la permanence du parti.
Meloche leur
demanda de se présenter le lendemain soir parce qu'il voulait leur confier le
secteur de la rue Notre-
Dame à placarder.
À son retour à la
maison, ses parents venaient à peine de rentrer à l'intérieur. Laurette et son
mari avaient passé la soirée sur le trottoir de la rue Emmett. Gérard avait
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taquiné Bernard
Bélanger pendant un bon moment sur le peu de chance des libéraux aux prochaines
élections avant de venir s'asseoir sur le pas de sa porte pour tenir compagnie
à sa femme, installée dans sa chaise berçante posée sur le trottoir.
Gérard avait
écouté ensuite Catherine Bélanger rappeler à Laurette combien elles avaient
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