Le retour
découragement qui le gagnait, il n'y parvenait plus.
En fait, Gérard
Morin se sentait diminué d'être obligé de quêter de l'argent à sa femme pour
ses billets de tramway et son tabac. Il avait de plus en plus de mal à manger
la nourriture payée par sa femme et ses enfants. Depuis deux semaines, le
sommeil le fuyait même et il passait une grande partie de ses nuits à se
demander à quelle porte frapper pour trouver enfin un emploi.
Si Laurette avait
été moins préoccupée par ses démêlés avec Maxime Gendron et Madeleine Sauvé,
elle aurait peut-être remarqué à quel point son mari avait maigri depuis sa
sortie du sanatorium.
Même si Gérard se
présenta le premier ce matin-là au bureau du personnel de la Dow, on lui
répondit qu'il n'y avait rien pour lui. L'employé se contenta de prendre en
note ses coordonnées avant de lui souhaiter bonne chance.
Bien avant neuf
heures, à sa sortie de l'édifice, il faisait déjà chaud et une foule de
travailleurs pressés avaient envahi les trottoirs et se dépêchaient de
rejoindre leurs lieux de travail. Il hésita un moment sur la direction à
prendre puis il se décida à aller faire des demandes d'emploi dans différentes
entreprises du secteur.
Il chercha
inutilement à se faire embaucher dans quatre autres compagnies durant
l'avant-midi avant de renoncer.
Un peu après
midi, il se décida enfin à prendre un tramway à demi plein pour rentrer chez
lui. Lorsque le véhicule s'immobilisa au coin des rues Papineau et Notre-Dame
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pour laisser
monter trois passagers, le nom de la rue suscita chez le chômeur un vague
remords en songeant au docteur Arthur Miron dont le bureau était situé au coin
des rues De Montigny et Papineau, au rez-de-chaussée d'un vieil immeuble en
brique rouge.
Durant quelques
secondes, il se débattit contre sa mauvaise conscience. Il avait promis de se
présenter...
Quand il se
décida à laisser son siège pour descendre, le tramway s'était déjà remis en
marche et il ne put quitter le véhicule que deux rues plus loin. En maugréant,
il revint sur ses pas avant de traverser la rue Notre-Dame et de se diriger
vers le nord.
En route, il croisa
une bande d'écolières excitées qui allaient vers une école du voisinage. Un peu
plus loin, une demi-douzaine de garçons s'amusait à jouer aux billes contre le
mur en brique d'une vieille maison.
S'il avait eu un
peu d'argent, Gérard se serait arrêté dans un petit restaurant d'où s'échappait
une odeur appétissante de frites. Il se contenta de hâter le pas, même si la
faim le tenaillait.
Au coin De
Montigny, il s'arrêta devant le bureau du médecin. Rien n'avait changé depuis
sa dernière visite. Il retrouva la même plaque en cuivre fixée à droite d'une
porte à la peinture verte écaillée et les fenêtres auraient bien eu besoin
d'être lavées.
Gérard s'alluma
une cigarette sans se presser, bien décidé à ne pas se présenter trop tôt au
rendez-vous.
Quelques minutes
avant une heure trente, il dut se faire violence pour se décider à entrer dans
la salle d'attente aux murs craquelés meublée d'une douzaine de chaises en bois
inconfortables. Il reconnut immédiatement la secrétaire à la mine un peu rébarbative
qui officiait derrière un bureau qui avait connu de meilleurs jours.
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La réceptionniste
consulta la liste des rendez-vous du médecin avant de l'inviter à s'asseoir.
Selon toute apparence, le docteur Miron n'était pas encore revenu de son dîner
et Gérard allait être son premier patient de l'après-midi.
Il venait à peine
de prendre place dans la salle d'attente quand le mince sexagénaire à la
couronne de cheveux argentés fit son entrée, une trousse au cuir craquelé à la
main. Il salua son employée d'un bref signe de tête et pénétra dans son bureau.
Quelques minutes
plus tard, la secrétaire l'invita à entrer dans le bureau.
Arthur Miron,
vêtu d'un sarrau blanc déboutonné, regarda Gérard par-dessus les verres de ses
lunettes à monture de corne à son entrée dans son bureau encombré et lui fît
signe de s'asseoir pendant qu'il consultait son dossier médical. Pendant une
minute ou deux, il n'y eut pas un mot échangé dans la pièce, le temps que le
praticien termine sa lecture.
- Puis monsieur Morin,
comment vous sentez-vous?
demanda
finalement le médecin.
- Je me sens
correct, docteur, mentit Gérard.
- Bon. On va
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