Le retour
voir
ça, annonça Arthur Miron en se levant, son stéthoscope à la main. Venez dans la
pièce à côté, lui ordonna-t-il.
Gérard le suivit,
pas trop rassuré. Il se souvenait encore trop bien de ce qui s'était passé dans
ce bureau trois ans auparavant.
- Déboutonnez
votre chemise, commanda le médecin.
- C'est peut-être
pas nécessaire, docteur, protesta mollement Gérard. Je suis guéri.
- Oui, je sais.
En attendant, montez sur la balance.
Gérard fut
contraint d'obéir. Le praticien nota son poids puis le fit étendre sur le lit
pour l'ausculter, s'attardant
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longuement à
écouter son stéthoscope. Quand il eut terminé, il pria son patient de revenir
s'asseoir devant son bureau. Pendant que Gérard reboutonnait sa chemise et se
chaussait, il nota diverses informations dans son dossier médical.
- Qu'est-ce que
vous avez fait depuis que vous êtes sorti de Saint-Joseph? demanda Arthur Miron
en enlevant ses verres pour les essuyer avec un mouchoir qu'il venait de tirer
de sa poche.
- Rien, docteur.
Je me cherche une job, mais je m'en trouve pas, avoua Gérard.
- Vous mangez
bien?
- Oui.
- Vous dormez
bien?
- Pas trop mal.
- Si je comprends
bien, tout va bien?
- Si c'était pas
de manquer d'ouvrage...
- Bon. Je vais
être clair avec vous, monsieur Morin, dit le médecin d'une voix tranchante.
Vous êtes parti pour faire une rechute, vous m'entendez? Je sais pas si vous le
savez, mais vous avez perdu dix livres depuis un mois.
Ça, c'est pas
normal si vous mangez à votre faim tous les jours.
- C'est l'ouvrage
qui...
- Laissez faire
l'ouvrage, lui ordonna sèchement le médecin. On dirait que vous avez oublié ce
que le docteur Laramée a dû vous dire avant de sortir de Saint-Joseph.
Vous deviez vous
reposer, prendre ça doucement, attendre que vos forces reviennent. Après avoir
eu la tuberculose, on n'est pas Samson.
- J'ai une
famille à faire vivre, protesta faiblement Gérard.
- C'est la même
famille qui a été capable de se passer de votre aide pendant trois ans,
monsieur Morin. Personne
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en est mort, non?
Elle peut encore se passer de votre aide deux ou trois mois, le temps de vous
raplomber. Vous allez attendre la fin de l'été pour vous chercher de l'ouvrage.
Prenez les trois
prochains mois pour vous refaire une santé, pour vous reposer.
- Mais...
- C'est ça ou
vous allez être obligé de retourner au
sanatorium avant
la fin de l'été. Est-ce que c'est assez clair? annonça le praticien en le
fixant d'un air sévère.
Vous avez perdu
trois années de votre vie. Prenez le temps de respirer un peu avant de vous
remettre au travail. Vous êtes pas un petit vieux au bord de la tombe. À votre
âge, vous avez encore pas mal d'années devant vous.
- OK, docteur.
- Vous reviendrez
me voir au début de septembre, dit le médecin en fermant le dossier placé
devant lui sur son bureau. Avant de partir, demandez à ma secrétaire de vous
fixer un rendez-vous tout de suite après la fête du Travail.
Mais je vous
avertis, ne revenez pas me voir si vous faites pas ce que je viens de vous
dire.
- C'est correct,
accepta Gérard. Merci, docteur.
Le père de
famille sortit de la pièce, prit un rendez-
vous pour la
première semaine de septembre et quitta l'immeuble. Lorsqu'il se retrouva à
l'extérieur, il demeura d'abord debout, immobile, sur le trottoir, stupéfait de
se sentir envahi par une sorte d'allégresse incompréhensible.
Normalement, il
aurait dû être désespéré d'être de nouveau astreint à une longue période
d'inactivité. Or, il n'en était absolument rien.
L'homme de
quarante-cinq ans se sentait inexplicablement soulagé, libéré de l'énorme
fardeau d'avoir à se trouver un emploi le plus rapidement possible pour faire
vivre les siens. Le médecin lui avait ordonné d'arrêter, de se reposer. La
décision était indépendante de sa volonté et
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il ne pouvait que
s'y soumettre s'il voulait éviter un retour à plus ou moins brève échéance au
sanatorium.
En se remettant à
marcher pour rentrer chez lui, Gérard Morin oublia sa légère migraine et le
long trajet à pied qui l'attendait pour ne penser qu'à ce qu'il allait manger
lorsqu'il mettrait les pieds dans l'appartement de la rue Emmett.
Ce soir-là,
Laurette rentra chez elle un peu avant six heures, comme chaque soir de la
semaine. Elle était
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