Le roi d'août
après avoir trempé les doigts dans le bénitier et fait un rapide signe de croix, s'avança lentement dans la fraîcheur de la chapelle où priaient prêtres et chevaliers. Très digne, le visage fermé, regardant droit devant lui, il gagna le cercueil où reposait son père, revêtu des insignes de la royauté. En dépit de leurs efforts, ceux qui s'étaient chargés d'apprêter le cadavre n'avaient pu effacer l'expression de profonde souffrance qui en déformait les traits. L'arrivant, pourtant, n'en parut guère ému. Les bras le long du corps, sans même donner l'impression de prier, il demeura impassible : on eût dit que ce trépas ne le touchait nullement, qu'il ne se trouvait là que par devoir – et pour recueillir la couronne.
Quoiqu'on n'osât murmurer en sa présence, tous les yeux étaient fixés sur lui, si bien que le tressaillement soudain qui l'agita n'échappa à personne. Une brève crispation tordit ses lèvres, puis il tourna les talons d'un mouvement brusque et quitta la chapelle à grands pas.
Peu après son départ, un prêtre s'approcha du cercueil afin de psalmodier une nouvelle série de prières pour l'âme du défunt. Il n'en articula pas le premier mot : poussant un cri de terreur, il tomba à genoux et se mit à implorer la pitié divine. Chacun se précipita, anxieux de savoir ce qui avait pu provoquer une telle réaction. Un simple coup d’œil dans le cercueil arracha des exclamations surprises ou angoissées aux curieux, qui s'agenouillèrent à leur tour, joignant leurs voix à celle du prêtre en une terrible cacophonie.
Des narines du cadavre, un peu de sang corrompu s'était échappé, poissant sa moustache, mouillant ses lèvres d'un rouge noirâtre. Or, nul n'ignorait que, parfois, les morts saignaient en présence de leur meurtrier.
Fut-ce cette accusation aussi morbide qu'irréfutable ? Fut-ce qu'il conservait malgré tout, et plus qu'il n'eût voulu l'admettre, de l'affection pour son père ? Fut-ce pure comédie à l'intention des gens simples, ses nouveaux sujets, postés au bord des routes qu'empruntait le cortège funéraire ? Il ne devait jamais le révéler à personne. Quoi qu'il en fût, durant la procession, on vit Richard pleurer à chaudes larmes et se lamenter comme s'il s'était toujours comporté en fils dévoué, affectionné et n'avait pas le moins du monde contribué à la chute du vieux roi.
Après la cérémonie, toutefois, lorsqu'il rentra à Chinon, il avait retrouvé l'entière maîtrise de soi. Un à un, les barons, chevaliers et autres dignitaires demeurés fidèles à Henri se présentèrent devant lui, non sans appréhension. Le moins angoissé n'était pas Guillaume le Maréchal, qui gardait en mémoire l'incident du Mans. Ses amis l'avaient pressé de s'éloigner, de chercher au moins pour un temps refuge à la cour de France, où on l'eût accueilli à bras ouverts. Il avait refusé, détestant l'idée de commettre une lâcheté, encore plus celle d'abandonner son ancien maître avant qu'il fût enterré. Il ne put cependant retenir un frémissement en observant le regard dur que posait sur lui Richard tandis qu'il s'avançait dans la grand-salle du château.
— Maréchal, l'autre jour, vous avez voulu me tuer, déclara le nouveau maître des lieux, sévère, quand il se fut agenouillé. Et vous l'auriez fait si je n'avais détourné votre lance de mon bras.
Guillaume releva la tête, le regardant dans les yeux sans ciller.
— Jamais je n'ai voulu votre mort, sire, répondit-il. Dieu sait que je ne suis plus un jouvenceau, mais je suis encore capable de diriger ma lance où je le désire. J'ai tué votre cheval, c'est vrai, et je ne crois pas avoir mal agi, aussi je ne m'en repens pas.
Un murmure parcourut la noble assemblée. Une telle impudence pouvait valoir à son auteur une sentence de bannissement, au bas mot. Richard demeura muet quelques instants, fixant toujours Guillaume avec rudesse, puis, à la surprise et au soulagement généraux, son visage s'éclaira d'un large sourire.
— Je vous crois, Maréchal, et ne vous garde pas rancune, conclut-il.
Non content de pardonner, il voulut s'attacher les services de cet incomparable guerrier et lui donna en mariage l'héritière que lui avait promise Henri II, faisant ainsi comte de Pembroke un chevalier ne possédant jusqu'alors pour toute fortune que son courage et les prix remportés au cours de ses tournois.
La magnanimité du nouveau roi s'étendit à tous ceux
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