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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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chevet du malade, bien assez vive pour qu'il pût lire. Guillaume réprima une grimace : après les jambes, c'étaient les yeux qui désertaient.
    Approchant le parchemin de la flamme, il s'apprêta à donner lecture d'une liste qu'il découvrait fort longue. Quand son regard tomba sur la première ligne, toutefois, il lui sembla recevoir un soufflet. Bouche bée, les yeux écarquillés, il demeura muet, ne sachant quel parti adopter.
    — Eh bien, qu'attendez-vous ? interrogea Henri. Dites-moi donc qui je dois haïr. La perspective de châtier les traîtres me remettra sur pied plus vite que ne sauraient le faire les ânes bâtés qui me soignent.
    Le Maréchal, pourtant, hésitait. Devait-il parler, au risque de porter le coup de grâce ? Ou bien devait-il mentir, lui qui avait le mensonge en horreur ? Finalement, le respect qu'il avait de lui-même et du roi fut le plus fort.
    — Sire, dit-il d'une voix cassée, le premier nom qui est inscrit ici est celui du comte Jean, votre fils…
    Le Plantagenêt eut un tel sursaut qu'il sembla s'élever d'un pouce au-dessus du lit, avant d'y retomber lourdement.
    — Mensonge, balbutia-t-il. Cela n'est pas.
    — Hélas, sire, je le voudrais, mais, sur mon honneur, c'est bien ce qui est écrit.
    Henri se mordait les lèvres, tandis que des larmes perlaient à ses paupières. Sur les couvertures, ses poings se serrèrent, ses ongles se plantèrent dans ses paumes sans qu'il s'en aperçût.
    C'était logique, d'une certaine manière. Le sang d'Aquitaine, le sang d'Aliénor coulait aussi dans les veines de Jean. Ainsi donc, il n'y aurait pas un seul de ses fils qui ne l'eût trahi. Mais celui-là, celui-là qu'il avait aimé plus que tous les autres, il eût voulu croire en sa fidélité. Il eût voulu en emporter une autre image au-delà de la tombe.
    — Dois-je poursuivre ? interrogea Guillaume.
    — Non, répondit le roi d'une voix blanche. Assez m'en avez dit. Qu'on me laisse, à présent. Je ne veux plus rien savoir. Rien.
    Le Maréchal se mordait les lèvres, lui aussi, non qu'il fût surpris par la duplicité de Jean sans Terre, mais parce que le spectacle de cet être d'exception que terrassait le plus vil des coups lui était intolérable.
    — Sire, reprit-il. N'y a-t-il rien que je puisse…
    Henri se redressa sur les coudes, défiguré par une douleur qui n'était plus seulement physique.
    — Allez, vous dis-je ! lui hurla-t-il au visage.
    Son cri s'acheva sur une longue plainte qui semblait venir du plus profond de ses entrailles et les lui déchirer au passage. Tout son corps se tendit violemment, comme tétanisé, puis il retomba en arrière et ne bougea plus. Guillaume, se précipitant, lui souleva la tête, colla l'oreille contre sa bouche. Non : la mort n'avait pas encore frappé, mais elle se rapprochait à grands pas. Sa face décharnée se devinait déjà sous le masque figé par le désespoir du vieux roi.
    Le Maréchal se retira et appela les médecins, sachant qu'ils seraient impuissants.
    Durant trois jours, Henri retrouva périodiquement sa connaissance pour de courtes périodes, parfois lucide, parfois non. Dans ces moments, il appelait auprès de lui l'un ou l'autre de ses chevaliers, en réclamant souvent qui l'avaient abandonné depuis beau temps mais qu'il croyait pourtant voir et qu'il couvrait, selon les cas, de compliments ou d'injures. Il tempêtait, menaçait ou bien priait, se lamentait, suppliait, voire prononçait des mots sans suite.
    Le sixième jour de juillet, s'éveillant en pleine possession de ses facultés mentales, il se fit porter à la chapelle où il communia. À peine l'eut-on ramené sur sa couche qu'il fut pris de frissons, puis de spasmes incontrôlables. On n'eut pas le temps, cette fois, d'aller chercher les médecins : au terme d'une convulsion, il cracha un caillot de sang noir et rendit le dernier soupir. Ce fut Guillaume le Maréchal qui lui ferma les yeux.
    La nouvelle de cette mort trouva Richard et Philippe toujours à Tours, en proie à l'euphorie de la victoire. Le premier partit sur l'heure pour Chinon, où il arriva un peu avant le départ du cortège funéraire devant accompagner Henri à sa dernière demeure, au sein de l'abbaye de Fontevrault.
    Il y fut accueilli avec la plus grande déférence, y compris par ceux qui, quelques jours plus tôt, lui lançaient des regards haineux ou méprisants et l'appelaient fils indigne, traître à son roi.
    Désormais, le roi, c'était lui.
    Richard,

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