Le Roman d'Alexandre le Grand
cri de joie monta des rangs
macédoniens. Les ordonnances se précipitèrent sur le champion, que l’effort
surhumain et la blessure béante semblaient avoir vidé de son sang. Ils le
conduisirent sans tarder sous la tente de Philippe.
Les Perses se réunirent autour du
corps décapité de leur chef, soustrayant ce pitoyable spectacle à la vue de
l’ennemi. Ils attendirent que le corps de Satibarzanès soit installé sur une
civière pour regagner leur ville d’un pas lent et funèbre laissant derrière eux
une longue trace de sang.
Avant que le soleil se couche,
Artacoana se rendit.
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Alexandre attribua à Artacoana le nom d’Alexandrie d’Arie alors même
qu’il apprenait que la première Alexandrie, dont il avait confié la
construction à l’architecte Deinocratès, en Egypte, prospérait grâce aux
commerces qui y fleurissaient et aux nouveaux habitants, qui affluaient de
toutes parts, construisant des maisons, aménageant des potagers et des jardins.
Il laissa à Alexandrie d’Arie un
gouverneur macédonien ainsi qu’une petite garnison de mercenaires, auxquels il
accorda une rente, des propriétés, des esclaves et des femmes afin qu’ils
puissent fonder une famille et se créer des liens avec cette terre lointaine,
en oubliant autant que possible leur patrie d’origine.
Il attendit que Léonnatos se soit
remis de ses blessures, puis il reprit avec l’armée la route du nord, le long
d’une vallée verdoyante où coulait un fleuve qui se divisait en courants
secondaires, renfermant dans un filet d’argent des milliers de petites îles
vertes aussi resplendissantes que des émeraudes. Ils se dirigèrent vers une
chaîne de très hautes montagnes, à côté desquelles, lui dit-on, tous les
sommets du monde avaient l’allure de simples collines. Cette formidable
barrière se nommait Paropamisos et séparait la Bactriane des immenses plaines
de la Scythie, aussi vastes que l’Océan.
L’épaule gauche encore bandée,
Léonnatos ordonnait à ses domestiques de préparer ses bagages, sous le regard
de Callisthène, dont l’humeur semblait s’assombrir de jour en jour. Il lui
demanda : « Est-il possible que ces monts soient plus hauts que
l’Olympe ?
— Nous abordons des lieux et
des peuples qu’aucun d’entre nous ne connaît, répondit Callisthène. Il est
possible que ces montagnes forment la barrière qui délimite les confins
extrêmes du monde, ce qui expliquerait leur altitude. Tout est possible, à
présent, et tout est absurde.
— Que veux-tu dire par
là ? »
L’historien baissa la tête et se
garda de répondre. Léonnatos en resta là. La joie de sa victoire s’était vite
éteinte, altérée par le mécontentement qui se répandait parmi les détachements,
par l’atmosphère de suspicion qu’on devinait parfois chez les chefs et les
officiers. Seuls les pages paraissaient encore enthousiasmés par cette
aventure. Ils admiraient le paysage d’un air stupéfait et fasciné, ils
contemplaient avec étonnement les couleurs vives des couchers de soleil, le
bleu franc du ciel sur lequel se détachaient les sommets enneigés, les myriades
d’étoiles qui ponctuaient les nuits sereines.
La nature aussi les émerveillait par
ses manifestations incessantes : ils découvraient des plantes inconnues et
des animaux dont ils avaient seulement entendu parler. Certains avaient entrevu
un tigre qui traversait le fleuve à l’aube en chassant le cerf ou la gazelle,
d’autres avaient aperçu de grands buffles aux cornes recourbées, qui broutaient
sur les berges.
Les fonctions des pages voulaient
qu’ils se trouvent fréquemment soit dans la résidence royale, auprès
d’Alexandre, soit dans celle de ses compagnons ou des hauts officiers de
l’armée. C’est ainsi que l’un d’eux, un garçon blond et gracile de quinze ans,
qui portait le nom de Cébalinos, apprit un terrible secret. Une conjuration
pour assassiner le roi !
Il se confia à l’un de ses amis, un
dénommé Aghirios, qui était un peu plus âgé et dormait non loin de lui sous la
tente commune. Il arrivait parfois à Aghirios de défendre le jeune homme contre
des compagnons trop autoritaires. Cébalinos attendit que tout le monde fût
endormi pour réveiller son ami. Celui-ci se frotta les yeux, s’assit au bord de
sa couche et écouta avec stupéfaction son terrible récit.
« Si tu n’es pas sûr et certain
de ce que tu dis, il vaut mieux que tu t’abstiennes de parler, car tu
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