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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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lui-même.
    — Peut-être. Quoi qu’il en soit, Sam me porte sur les nerfs avec sa perception par trop simpliste des choses. Pour lui, nous sommes blancs et Louis est noir, un point, c’est tout. Faut-il être naïf pour ne pas voir que le monde se compose en fait d’une infinité de teintes intermédiaires.
    — Ma fille, voilà que tu prêches aussi bien que moi, maintenant. Mieux, je dirais.
    Ils rirent doucement. Ils allèrent s’asseoir sur un gros rocher autour duquel de l’herbe vert et or se laissait peigner par la brise. Lionel dit :
    — Comme Louis a l’habitude de le dire parfois, du ton sec qui le caractérise si bien : « Il n’y a ni bien ni mal. Il n’y a que ce qui est. » À première vue, cela a aussi l’air très simpliste, et mon premier réflexe a été de vouloir contester cette remarque. Or, je ne l’ai pas fait. J’y ai beaucoup réfléchi et j’en suis arrivé à la conclusion que c’est beaucoup plus sage qu’il n’y paraît.
    — De quelle manière ?
    — Eh bien, je crois qu’il entendait par là quelque chose de plus précis que les seules notions de bien et de mal, car chacun sait que, du bien et du mal, il y en a de par le monde, et à profusion. Louis sait cela mieux que quiconque.
    — C’est vrai.
    — Je crois qu’il voulait plutôt parler de nature humaine. Affirmer que la nature humaine est foncièrement mauvaise n’est en rien moins saugrenu que de dire qu’elle est foncièrement bonne.
    — Vous croyez ?
    — Oui. Toutefois, il nous est si facile de défendre la première affirmation, n’est-ce pas, d’abord parce qu’elle est tellement facile à prouver, et ensuite parce que cela nous sert à excuser nos propres fautes.
    — Cela se tient. Je crois Louis capable d’avoir ce genre de pensée radicale.
    — Je crois aussi que ces paroles signifiaient davantage que ce que Louis était capable d’en comprendre. Elles veulent dire que la nature de l’homme, quelle qu’elle puisse être, n’est pas immuable. À l’heure du choix, nous pouvons faire le mal avec la même aisance que le bien. Ce qui est, ce que nous faisons réellement de ce choix, cela seul importe en bout de piste.
    Très loin au-dessus de la cime des arbres, un gerfaut s’intéressait à une aire envahie par les chiendents. Il la survolait en cercles concentriques et commençait à descendre prudemment.
    Lionel reprit :
    — Regarde comme la vie nous a souri, Jehanne. Que se serait-il passé si nous avions accordé foi à des conseils trop pessimistes, tels que : « Laissez tomber, nul ne peut rien y faire », et, de l’autre, ceux des optimistes aveugles disant : « Ne vous en faites donc pas. Quoi qu’on fasse, tout ira pour le mieux. »
    — Il ne se serait rien passé.
    — Exactement. Sans que nous le sachions, la pensée radicale de Louis nous a aidés dans notre cheminement en nous faisant adopter une perception des choses qui ne penche ni trop vers l’optimisme ni trop vers le pessimisme. Nous avons été mus par une foi rationnelle dans la capacité de tout homme d’éviter l’ultime catastrophe. Tu vois, le choix entre le bien et le mal est de nouveau remis à l’homme. Cela l’oblige à se libérer des illusions de la fatalité et l’amène à envisager des changements fondamentaux qui sont devenus indispensables, non seulement pour la société, mais aussi à titre personnel, jusque dans ses valeurs mêmes.
    L’oiseau de proie disparut derrière un boqueteau et ne reparut pas.
    Lionel poursuivit :
    — J’envie la foi simple des premiers chrétiens et je m’y réfère souvent lorsque je sens la mienne faillir. Chaque jour, ils attendaient le retour du Messie, pour de vrai, sans toutefois se décourager s’il ne venait pas. Ils s’attendaient réellement à Le voir arriver à leur porte sans prévenir. Jour après jour, ils mangeaient ensemble, ils travaillaient et priaient en L’attendant. Leur espoir n’était ni passif ni patient, loin de là. Il les galvanisait et les poussait à l’action. C’était comme si Jésus se trouvait déjà parmi eux et sans doute y était-Il. Avoir la foi signifie oser, penser l’impensable.
    — Comme nous-mêmes l’avons fait, dit Jehanne.
    — Exactement. Comme nous-mêmes l’avons fait.
    *
    Paris, août 1378
    La rue de l’Homme-Armé dépeuplée par l’heure du souper somnolait dans l’âcreté de ses nombreux feux de foyer invisibles. Sam y errait sans but. Il sentait que tout était

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